Contribution du CIO à la Grande Muraille Verte, green-washing ou contribution essentielle ?

par | Juin 28, 2021 | Développement durable, Ecologie, Géographie | 0 commentaires

A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse, le 17 juin 2021, et alors que s’amorce la dernière ligne droite pour la préparation des Jeux Olympiques de Tokyo, le Comité International Olympique vient d’annoncer son intention de compenser ses émissions de gaz à effet de serre en aidant à planter une forêt olympique sur le tracé de la Grande Muraille Verte. C’est pour RLDH, l’occasion de revenir sur l’histoire de ce grand projet, les espoirs suscités et les questions survenues alors que l’objectif temporel initial d’achèvement en 2030 est plus que compromis.

Planter des arbres pour faire reculer le désert, une bonne idée ?

Lancée par l’Union Africaine en 2007, généralisant une expérience déjà expérimentée en Algérie avec le projet de barrage vert lancé par le président Boumédienne au début des années 70 et au Tchad à partir de 2002, la Grande Muraille Verte va fêter ses vingt ans. Le projet, d’une ambition inédite, se proposait de restaurer, en vingt ans, cent millions d’hectares de terres dégradées sur 8000 kilomètres dans la région sahélienne. La plantation de cette ligne arborée devait permettre de faire reculer la désertification, de fixer des populations rurales en créant des centaines de milliers d’emplois. En septembre 2020, le cabinet Climatekos a révélé les résultats de son évaluation des avancées d’un projet qui a connu des fortunes diverses dans la vingtaine de pays où il est engagé. La tonalité de l’ensemble du rapport n’incite pas à l’optimisme. Foin des envolées lyriques. Selon le Guardian, alors que le programme en est à la moitié de sa durée, seuls 4% de la surface projetée aurait été effectivement plantée. 200 millions de dollars ont été investis, 350 000 emplois auraient été créés, et l’initiative aurait permis de générer 90 millions de dollars de revenus, mais, avouent humblement les auteurs, il est assez difficile de trouver des évaluations fiables de ce qui a été fait sur place.

Pour parvenir à boucler les objectifs en temps et en heure, selon les observateurs, il faudrait dès 2021 planter entre deux et dix fois plus d’arbres par an que dans les années précédentes !

Les bonnes résolutions de la période de lancement ont fondu comme une peau de chagrin. Essayez de chercher des informations sur le projet sur Internet, à part des publications de commentateurs, il n’y a pas de site à jour. L’Agence de la Grande Muraille Verte, dépendant de l’Union Africaine, déroule une communication qui semble avoir été interrompue en janvier 2021, et la dernière publication « scientifique » mise en ligne, est éditée par l’IRD et elle date de 2010. Les optimistes vous diront que cela reflète sans doute une préoccupation d’agir sur le terrain plutôt que de communiquer « faire, plutôt que faire savoir », malheureusement, les réalisations ne sont pas à la hauteur des ambitions, ni même des enjeux pour les pays de la zone concernée.

Pourquoi des résultats aussi décevants pour un projet dont le bien-fondé ne semble pas faire de doute ?

Les explications, comme souvent, sont multifactorielles. On l’a vu, les Etats se sont inégalement investis dans la réalisation. Si certains chefs d’Etat redorent leur popularité en lançant des programmes visant à « planter un arbre par citoyen », comme récemment à Djibouti, d’autres ne brillent pas par leur implication. Certains des pays, comme le Sénégal, ont créé des agences locales pour suivre le projet. Dans d’autres pays, les responsabilités sont plus floues. Les ministres de l’environnement locaux n’ont souvent que peu d’appui de leur hiérarchie, qui, souvent, a d’autres chats à fouetter. L’instabilité politique pour certains, la menace djihadiste pour d’autres, couplées à un manque de fonds chroniques.  Le rapport récent souligne une variation entre les dons annoncés par les bailleurs de fonds et ceux dont les Etats disent avoir bénéficié. Le flou est de mise : soit les fonds promis ne sont pas arrivés, soit ils se sont évaporés quelque part dans la chaîne.

D’autres explications plus techniques ont été soulevées. Il apparaît que dans certaines zones, reverdir le désert en plantant des arbres alors que la pluviométrie annuelle est inférieure à 400 mm est un défi trop important. Il faut aux plants un minimum d’eau les premières années pour s’enraciner. Il a été suggéré de privilégier un couvert herbacé endémique et résilient, plus à même de résister à la sécheresse tout en formant les populations à le protéger des prédations irraisonnées du bétail.

Pour certains chercheurs et ONG, il faut remettre en cause le schéma de la muraille. La largeur de 15 kilomètres prévue pour la muraille ne tient pas compte de la réalité de l’implantation des populations qui ont besoin de zones plus larges, elles ne peuvent pas vivre dans des corridors prédéfinis par des décisions technocratiques qui ignorent la réalité du terrain. Vaut-il mieux privilégier un tracé continu respectant le projet initial ou privilégier une approche par zones discontinues en fonction des qualités du sol, des ressources en eau, et des implantations humaines pré-existantes ?

Les anthropologues et les géographes soulignent l’importance de mesures qui tiennent compte des besoins des populations locales, prennent en compte les attentes spécifiques, de la tension autour des zones herbeuses ou arborées entres nomades aux activités pastorales, et sédentaires développant des cultures vivrières. Il faut également former les populations, pas toujours acquises à la cause, à s’impliquer au-delà de la phase de plantation.

Faut-il abandonner la grande muraille verte?

Les analyses convergent pour conclure qu’il n’y a pas d’alternative à la réhabilitation du couvert végétal d’une partie de la zone sahélienne. Une nécessité au vu des prévisions de croissance démographique dans cette zone, mais aussi au regard des prévisions de réchauffement climatique de plus en plus alarmantes. Une zone verte sur toute la longueur du Sahel contribuerait à la séquestration de carbone planétaire.

Ce n’est pas tant un abandon du projet pharaonique de la Grande Muraille Verte qui est demandée à mi-parcours, c’est un réaménagement avec la prise en considération de l’existant et des communautés rurales. Dans ce contexte, l’initiative du CIO est bienvenue, si tant est qu’il ne se contente pas de verser des fonds pour se donner bonne conscience – la question de la compensation des émissions de gaz à effet de serre plutôt que la réduction drastique des émissions est une autre controverse – mais qu’il contribue, en contrôlant l’efficience de son investissement, à pérenniser un couvert forestier dans une zone qui en manque cruellement…

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