Et si l’on ne pensait plus la permanence dans un endroit comme la norme ? Et si on prenait au sérieux cette hypothèse farfelue de faire du mouvement la norme et non plus la sédentarité ? Et si on arrêtait de déplacer des millions de mètres cubes de béton pour construire de nouvelles villes ? Et si on prenait pour principe de construire des cités déplaçables, éphémères ? En plus d’être plus écologique et plus économique, ne-serait-ce pas plus adaptable, et plus durable ?
Le fait massif du vingtième siècle c’est l’urbanisation. L’expansion démographique, sur tous les continents, s’est traduite par une expansion urbaine, notamment sur les bandes littorales, comme en témoignent les images satellites prises de notre planète, la nuit. Or le grand défi du vingt-et-unième siècle est de préparer la réponse au dérèglement climatique menaçant de fait ces zones les plus peuplées. Certaines prévisions pour 2030 estiment à 510 millions le nombre de personnes menacées par la montée des eaux dans leur zone d’habitation, si l’on maintient le réchauffement climatique à +1,5° par rapport au début de l’ère industrielle.
Certaines villes ont pris le problème au sérieux et commencé à développer des programmes d’adaptation et de résilience pour atténuer leur impact en termes de génération de gaz à effet de serre et répondre aux risques posés par le dérèglement du climat, menaçant l’habitabilité des villes. Les pistes explorées, pour l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique ont privilégié la sédentarité. Nous voulons, dans ce billet, oser un changement de paradigme. Ne peut-on remettre en cause la généralisation de la sédentarité pour concevoir une façon d’habiter le monde qui envisagerait la transhumance comme la nouvelle réalité de l’humanité au vingt-et-unième siècle ?
Le nomadisme a commencé avec l’humanité. La sédentarisation concerne une toute petite partie de la période d’occupation de la terre par les humains, et quelques groupes remarquables, les roms ou les gitans en Europe, les pasteurs des steppes mongoles en Asie, les saharaouis, les touaregs ou les peuls dans la bande sahélienne, les xhoïsans en Afrique Australe, les inuits et certaines tribus natives sur le continent américain, essaient de maintenir cette tradition. Les anthropologues travaillant sur le nomadisme n’hésitent pas à souligner que cette forme d’occupation de la terre, est largement moins prédatrice des ressources naturelles, et plus propice à la préservation de l’environnement que les modes de vie issus de la sédentarité.
Du côté des populations « modernes » où la sédentarité est de mise, on a vu apparaître çà et là des tendances transhumantes. 1% de la population nord-américaine était itinérante avant 2008. Certains habitants, soit par contestation, soit par choix, se sont convertis à un mode de vie nomade, une partie de l’année, comme les snowbirders, ces retraités qui vont passer les mois d’hiver dans leur camping-car, leur van ou autre véhicule dans les états de la Sunbelt pour fuir les froids rigoureux du nord du continent. La crise des subprimes a relancé sur les routes des ouvriers qui, comme lors de la crise de 1929, transhument d’état en état pour suivre la saisonnalité des récoltes dans les exploitations agricoles.
La pandémie de coronavirus a contribué à populariser les « nouveaux nomades » voire les « nomades digitaux » fuyant les centres-ville pour aller télé-travailler à la campagne, ou dans des environnements moins anxiogènes que ceux des villes désertées. Certains pays, notamment ceux qui avaient développé une industrie touristique durement touchée par les interdictions de voyager, ont commencé à proposer des visas longue durée pour les « nomades digitaux »
Par ailleurs, pour des raisons de conflit ou de catastrophes naturelles, le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l’ONU, estime à 1% la population du globe déplacée, dans son propre pays où à l’extérieur. Le nombre de déplacés aurait doublé entre 2011 et 2020.
Quel rapport entre les nouveaux nomades, les nouveaux pauvres, les snowbirders et les pasteurs des steppes mongoles ou de la bande sahélienne ? Ne sont-ce pas des situations tellement éloignées qu’il est ridicule, voire indécent, de vouloir les faire tenir dans le même article ? Peut-on comparer les situations des jeunes diplômés célibataires décidant de partir habiter les trois mois d’hiver à l’Île Maurice pour changer d’air et faire rager leurs collègues pendant les visioconférences, et les nouveaux prolétaires expulsés de leur logement, forcés de chercher refuge dans leur voiture ? Il y a des hiatus qu’il faut assumer. Parce que de toute façon, comme l’écrit Nina Lemahieu il y a « pluralité des modes de vie nomades ».
Il n’est pas exclu qu’à terme certaines zones de notre terre deviennent inhabitables, du moins une partie de l’année. Le risque des submersions de la bande littorale, dans les zones les plus touchées, va chasser de leurs habitations une partie de la population. La solution est-elle, comme certains états ont commencé à le faire, de déplacer les villes, ou d‘imaginer d’autres façons d’habiter la terre ?
Les villes, par leur empreinte, sont une des réalisations humaines les plus génératrices de gaz à effet de serre. Les solutions pour atténuer l’impact climatique de l’urbanisation sont globalement insuffisantes. Construire de nouvelles villes sur des zones aujourd’hui faiblement habitées implique de penser comment le faire sans reproduire les erreurs passées. A ce titre, les contre-exemples du déplacement de la capitale administrative de l’Indonésie de Sumatra à Bornéo, ou de la création ex-nihilo de la nouvelle capitale d’Egypte en plein milieu du désert sont assez éclairants.
Parmi les propositions des villes pour lutter contre le dérèglement climatique, l’alternative est s’adapter ou changer radicalement. S’adapter, c’est construire des digues, créer des forêts urbaines, livrer en vélo-cargo, encourager la résilience des citoyens, mettre en place des plans d’évacuation, des solutions de repli, etc.. Changer radicalement, ça pourrait être de ne plus construire de ville fixe, mais de favoriser des infrastructures légères, frugales qui n’auraient plus comme paradigme l’enracinement dans un endroit mais au contraire le mouvement entre différents endroits, en les ménageant le plus possible pour ne pas altérer les lieux. Je ne sais plus où j’ai lu que, depuis l’ère industrielle, les humains auraient plus remué la croûte terrestre que les plus grands évènements géologiques vécus par notre planète depuis son apparition. N’est-il pas urgent de repenser notre façon de faire ?
Même s’il est utopique de concevoir un abandon total de la sédentarité, convertir une partie des sédentaires en nomades n’est pas une hérésie. Quelles seraient les conditions à remplir pour que cette conversion au nomadisme soit une solution durable pour la planète et pour les individus ? Il ne me paraît pas inutile d’envisager ce scénario. Qu’en pensez-vous ?
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