Faut-il avoir peur du loup ?

par | Avr 29, 2024 | Ecologie, Philosophie | 0 commentaires

Le loup revient ! La presse quotidienne régionale se fait volontiers l’écho des apparitions de loups, souvent incriminés dans les attaques de bétail. Les journaux télévisés leur emboîtent le pas en se faisant écho des déprédations sur les troupeaux.

C’est devenu un sujet récurrent et traité majoritairement sous l’angle du combat des éleveurs contre le grand prédateur, friand de brebis. Mais de plus en plus l’élargissement des territoires sur lesquels on rencontre le loup fait une. Le mois dernier, un grand canidé a été retrouvé mort au bord d’une route, près du Havre, et les analyses biologiques ont permis de confirmer qu’il s’agissait bien d’un loup. On a longtemps cru que les loups ne survivraient que dans des forêts denses et vastes telles qu’elles existent dans le massif et le piémont alpin. Qui aurait pu prédire que des descendants des loups réintroduits dans les Alpes dans les années 1990, pour favoriser le développement de la biodiversité, se retrouveraient trente ans plus tard dans des plaines côtières proches du Mont Saint Michel ?

C’est une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle. Comme l’écrivaient Gilbert Cochet et Stéphane Durand dans Ré-ensauvageons la France, chez Actes Sud, c’est une bonne nouvelle parce que cela montre que le monde naturel, avec un petit coup de pouce (la réintroduction sur des territoires originellement occupés d’espèces disparues), reprend vite ses droits et les effets bénéfiques se font rapidement sentir. Les effectifs d’espèces auparavant menacées s’accroissent, et les territoires conquis également. L’influence de ces réintroductions remodèle la nature et la rend plus diverse et plus intéressante à plusieurs égards.

Réintroduire des espèces, c’est avoir, à terme, à réfléchir à l’articulation, de leur monde et du nôtre. Si l’on est facilement émerveillé par la magie de la rencontre fortuite avec ces animaux mythiques, la cohabitation n’est pas toujours heureuse et souhaitable. Comment aménager les zones de cohabitation ? Comment les faire entrer dans les mœurs alors que les réflexes les plus élémentaires ont été perdus ? Des siècles de coexistence avaient habitué les humains à éviter les lieux où se trouvaient les prédateurs, et les grands prédateurs à éviter les humains. Les loups d’ailleurs ne représentent aucune appétence pour la compagnie des humains. Ils les évitent comme l’écrit Baptiste Morizot. On trouve plus facilement des traces de loups que des loups eux-mêmes.

La présence des loups réhabitue des proies de choix comme chevreuils et sangliers à la mobilité et à plus de furtivité, et minimise la probabilité de leur déprédation continue dans certaines zones, elle contribue à la repousse de la végétation. Mais pour les éleveurs elle signifie une vigilance accrue et la mise en place de systèmes de protection dont ils n’ont plus l’habitude. Le bétail, comme les humains, a oublié de se méfier du loup.

Autrefois, on racontait des histoires de loups pour apprendre aux enfants à se méfier des canidés, et à ne pas pénétrer trop profond dans la forêt. Le loup n’est qu’une parmi les espèces réintroduites, un des plus emblématiques, avec l’ours et le lynx. Les ours slovènes peu à peu réintroduits dans les Pyrénées n’ont pas toujours bonne presse. Les grands prédateurs réinstallés dans des aires protégées, finissent invariablement par se retrouver en dehors des périmètres assignés et créent des perturbations pour les humains.

La fête de l’ours, célébrée dans les Pyrénées, était un moyen de souder les communautés villageoises au moment du réveil de l’ours et de sa sortie d’hibernation mais aussi de rappeler les dangers de la coexistence avec les bêtes sauvages. Les pyrénéens, qui ont fait inscrire la fête de l’ours au patrimoine mondial de l’UNESCO ne sont pas toujours ravis de voir ce plantigrade se balader impunément près de leurs troupeaux. On peut les comprendre, mettez-vous à la place d’un éleveur découvrant au matin ses brebis égorgées, ce n’est jamais plaisant. Même avec la perspective d’un dédommagement pour les pertes subies.

La coexistence avec ces grands prédateurs, dans l’histoire, a rarement été pacifique. Les battues au loup et à l’ours existent depuis des lustres. On en trouve des traces dans des documents du Moyen-Âge. Selon Xavier Halard, travaillant sur le territoire normand, la prise de loups faisait l’objet d’une rémunération par les autorités seigneuriales. La chambre des comptes tenait un décompte des loups abattus dans les différentes régions ainsi que les caractéristiques des bêtes attrapées et des circonstances de leur chasse. L’historien normand, analysant 800 captures de loups figurant dans les livres de comptes, souligne une baisse de la densité des loups au long du XIVème siècle, suivi d’une explosion de la population lupine qui se stabilise dans la seconde partie du XVème siècle.

Les évolutions agraires, souligne t’il, influent directement sur la densité de population des loups. A la fin du XIVème siècle l’abandon de certaines terres cultivées au profit de l’élevage permet au loup de prospérer. Il établit un lien direct entre la déprise agricole et l’expansion du territoire du loup et des populations lupines. Ce n’est pas seulement la nécessité de nature qui joue sur les populations d’animaux sauvages, mais aussi le développement des activités humaines. Les éleveurs sont également plus enclins à chasser le loup dès lors que leur source de revenus principale n’est plus le blé mais le bétail.

L’historien Nicolas Blanchard qui travaille sur la forêt d’Ecouves dans l’Orne, montre que le loup historiquement y était très présent. Cent dix ans après l’abattage du dernier loup, et trente ans après la réintroduction du prédateur dans les Alpes, les loups ont trouvé des espaces où prospérer et se réapproprient les territoires de leurs lointains cousins. On ne peut parler pour l’instant de réinstallation, des individus solitaires ont été observés, mais cela devient de plus en plus probable. La baisse de la population rurale et la déprise agricole laisse le loisir à des espèces sauvages de se développer loin de la présence humaine.

Le réensauvagement d’une partie du territoire, et la réintroduction d’espèces anciennement implantées est un axe fort et philosophiquement plaisant de la lutte contre le réchauffement climatique. On sait désormais qu’en favorisant la biodiversité, on favorise la résilience des territoires. Mais comme pour l’ours, le loup, ou plus récemment le grand tétras dans les Vosges, cela exige que les humains s’effacent, et apprennent à faire une place à ces animaux en « négociant » avec eux une coexistence qui peut déranger les habitudes mais constituent un passionnant défi.

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