Résilience face au changement climatique, quel rôle pour les assureurs ?

par | Avr 17, 2024 | Urbanisme | 0 commentaires

Nous vivons désormais, selon la formule du sociologue Ulrick Beck, dans une société du risque.  Aujourd’hui, les sociétés d’assurance ont un rôle prépondérant dans l’indemnisation des épisodes de calamités climatiques. Entre les années 1970 et les années 2010, le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par quatre, et le coût moyen qui leur est associé par 2,2 selon le rapport publié pour Fondapol en 2020 sur les assureurs et le risque climatique. L’accélération de la fréquence de survenue des événements extrêmes depuis les années 2000, rend nécessaire une réflexion sur le modèle assurantiel, pour lui permettre de mieux anticiper le risque climatique et continuer à jouer efficacement son rôle d’amortisseur de catastrophes.

Début avril 2024, la commission Langreney a remis aux ministres commanditaires le rapport « adapter le secteur assurantiel français face à l’évolution des risques climatiques ». Le principal message porté par les auteurs est que la pérennité du modèle assurantiel français n’est pas garantie, compte-tenu des scénarios d’évolution proposés par le GIEC prévoyant, en fonction des hypothèses, une sinistralité en hausse de 27% à 62% d’ici 2050. Le besoin en financement annuel de la CCR (Caisse Centrale de Réassurance) devrait s’accroître de 1,3 milliards d’euros par an.

La France est l’un des pays où les assurés sont les mieux couverts pour les risques liés aux aléas climatiques. En effet, le modèle français, qui fonctionne comme un partenariat public/privé, impose à tout détenteur d’une assurance multirisques habitation – vous et moi – une surprime fixe servant à financer l’indemnisation des dommages au titre des catastrophes naturelles. Ce régime, fondé pendant les années 1980 a bien rempli son office mais trouve ses limites avec les récentes catastrophes qui ont mis à mal le financement de la CCR, et pointé les vulnérabilités accrues de certaines parties du territoire.

La tempête[1] Xynthia en février 2010, et ses conséquences désastreuses[2] ont mis en évidence les conséquences de l’urbanisation d’une grande partie du littoral français depuis les années 1970, et notamment dans ses parties basses. L’ouragan Irma, dévastant les îles de Saint Martin et Saint Barthélémy dans les Antilles françaises, en septembre 2017, a été l’un des épisodes les plus coûteux pour le système d’assurance français avec deux milliards d’euros de dégâts, et un bâti détruit à 95%. La tempête Alex, dans la vallée de la Vésubie en novembre 2020 a illustré les ravages pouvant être causés par un épisode méditerranéen, un phénomène météorologique où des pluies abondantes dans des vallées encaissées créent des débits d’eau exceptionnels des torrents de montagne qui détruisent tout sur leur passage. Le débit de la Tinée, qui coule dans cette vallée a atteint un débit équivalent au débit moyen de la Loire à son estuaire…

Le chiffrage définitif des inondations de l’hiver 2023-2024, n’a pas encore été effectué, mais l’addition sera importante.

L’intensification des phénomènes climatiques et des sinistres associés va-t ‘elle entraîner une baisse de l’assurabilité ? Les assurés français se verront-ils opposer des limites à l’assurabilité de leurs biens contre les risques climatiques, comme cela se fait couramment dans d’autres pays ? En Californie, après les incendies intenses de ces dernières années, les habitants de certains comtés ne trouvent plus d’assureur. En Allemagne, après les inondations de l’été 2021, certains assureurs ont refusé d’assurer de nouveau certains de leurs clients, d’autres ont plaidé pour une mutualisation du risque de catastrophe naturelle.

La commission Langreney demande une augmentation du financement de la CCR, un élargissement de la définition des catastrophes naturelles (prises en charge directement par la CCR) et l’engagement par les compagnies d’assurances dans des actions d’encouragement à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. Les assureurs ne peuvent pas se contenter de parer au plus pressé mais doivent aider à reconstruire, non plus à l’identique mais en intégrant des mesures de résilience.

Les compagnies d’assurances disposent de plusieurs atouts pour cela. Avec le temps se dessine une cartographie des risques plus précise. Elles peuvent donc aider à mettre en place des mesures simples pour éviter les catastrophes prévisibles, en diffusant des informations aux assurés sur les risques encourus, les façons de protéger leurs biens. Elles peuvent aider les décideurs locaux (élus, représentants des pouvoirs publics) à modifier les autorisations de construire, en évitant des zones à risque, et en imposant des mesures de construction/surélévation de certaines parties de la maison pour minimiser les atteintes aux biens.

La tempête Xynthia a été un véritable catalyseur de la réflexion sur le traitement du recul du trait de côte, incitant des pouvoirs publics locaux, jusqu’ alors dans le déni, à s’atteler au problème de l’opportunité de la reconstruction à l’identique, à la réflexion sur les zones constructibles et au rapport bénéfice/coût des dispositifs anti-submersion dans des zones de plaines basses. Dans la vallée de la Vésubie, il a été décidé de réaménager sans reconstruire sur la trace laissée par le déferlement de la Tinée. L’intensification des événements climatiques extrêmes rappelle que les meilleures solutions techniques ne peuvent pas toujours s’affranchir des risques naturels.

Ma grand-mère paternelle habitait en Poitou dans une maison dont le terrain -constitué de quelques hectares de prés- était bordé par un affluent de la Vienne, le Clain, qui avait coutume de déborder régulièrement. Le système de domestication des eaux : vannes et retenues d’eau en amont n’y faisait rien, les crues arrivaient et débordaient dans les prairies voisines, et, plus exceptionnellement, les eaux du Clain prenaient leurs aises jusque dans la maison. Le rez-de-chaussée était inondé pendant plusieurs jours, voire des semaines. Lorsque la montée des eaux avait été assez lente, ma grand-mère avait le temps de mettre sa 2 CV à l’abri sur un terre-plein constituant un point haut du quartier, arrimait un canot en bas de la terrasse, et elle attendait que la décrue s’amorce avant d’ouvrir grand les double-portes en bois du rez-de-chaussée (qui abritait de grandes caves et une salle de bain) pour évacuer la boue et faire sécher l’ensemble.

Dans ce malheur récurrent, il y avait un point positif : la partie habitable de la maison commençait au premier étage, composé d’une terrasse en pierre sur laquelle donnaient toutes les pièces, où l’on accédait par deux escaliers extérieurs. Le concepteur de la maison, dans les années 1850, avait dû prendre en compte les caprices du Clain. Moyennant quoi, l’expérience de l’inondation par l’encombrant voisin était déplaisante, fastidieuse, mais n’occasionnait pas de dommages excessifs, même avec une assurance minimale.

L’architecte de la maison avait intégré à la conception du bâtiment, les éventuels caprices du cours d’eau. C’était une autre époque. Mais cet exemple montre que la prise en compte des aléas naturels est une préoccupation ancienne dans la construction des bâtiments.

Les usages de construction régionales, avant la généralisation de l’utilisation du béton, et l’uniformisation des techniques de construction, privilégiaient les matériaux accessibles et répondaient à des spécificités locales, des évolutions historiques. En Normandie, région pluvieuse, les toits ont traditionnellement, en fonction des matériaux qui les recouvre, une inclinaison de 45 à 65 degrés, pour minimiser les risques d’infiltration des eaux de pluie à l’intérieur, et économiser le bois de charpente.

Sans doute serait-il utile de s’inspirer de ces exemples et de remettre au goût du jour cette sagesse vernaculaire, qui plutôt que de dompter la nature préfère s’appuyer sur elle ?


[1] Je conseille d’ailleurs de lire à ce sujet le Blog Chronique des tempêtes du chercheur François Bafoil : https://www.caissedesdepots.fr/blog/article/chroniques-des-tempetes-12-xynthia

[2] Une cinquantaine de morts, des centaines de logements détruits, 2, 5 milliards d’euros de pertes économiques, 1,5 milliards de dommages assurés…

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