Fin de partie pour SCoPEx ? Gloire et déboires de la géo-ingénierie solaire

par | Avr 4, 2024 | Innovation, Science | 0 commentaires

La semaine dernière, SCoPEx (pour stratospheric controlled perturbation experiment)l’une des initiatives les plus en pointe de la géo-ingénieurie, menée par des scientifiques de l’université de Harvard, a officiellement pris fin. Ce n’était pas totalement une surprise : depuis 2021 les obstacles s’accumulaient sur son chemin. Tout avait pourtant bien commencé. Un parrain prestigieux, Bill Gates lui-même, avait approuvé et financé le projet. L’équipe de Harvard affinait ses simulations d’une technique prometteuse, émulant ce qui se passe lors d’une éruption volcanique, en injectant des particules de soufre pour empêcher les radiations solaires d’arriver jusqu’à la surface de la terre en les renvoyant hors de l’atmosphère, atténuant momentanément le réchauffement climatique.

L’équipe de Harvard avait prévu de faire une première expérience à partir d’une base militaire suédoise, au niveau du cercle arctique. Pourquoi en Suède ? La stratosphère est plus proche du globe au niveau des pôles, la fonte de la banquise est un des accélérateurs du changement climatique, enfin, la faible densité de population et l’absence de cultures permet de limiter les effets indésirables. Las, ces raisons n’ont pas convaincu les populations locales – peu nombreuses mais déterminées – de l’innocuité de l’expérience. L’ équipe a jeté l’éponge une première fois en 2021 et annoncé la semaine dernière dans un communiqué l’arrêt définitif de SCoPEx. La modification des radiations solaires, même dans des proportions expérimentales, est un sujet suffisamment grave pour que des procédures spécifiques de présentation de discussion et de mise en accord avec le public soient nécessaires. Ce qui paraissait négligeable pour l’équipe scientifique – après tout, il ne s’agissait que d’une expérience contrôlée – était loin de l’être pour les écologistes et les populations samis de Suède, premières concernées par d’éventuelles retombées ou effets indésirables.

Le sujet est sensible sous toutes les latitudes. Il y a quelques mois, la startup californienne Making Sunsets a lancé, sans aucune demande d’autorisation préalable, des ballons libérant des particules soufrées dans la stratosphère au-dessus de l’état mexicain de Basse Californie. Making Sunsets voulait vendre des « crédits de refroidissement » à des clients, et s’est fait prestement rabrouer par l’état mexicain qui a interdit illico toute pratique de géo-ingénierie sur son sol. Est-ce à dire que c’est la fin des tentatives de géo-ingénierie solaire ?

Sans doute pas, mais elles devront tirer des conclusions de ces deux expériences très différentes. Les opinions publiques, pas plus que les autorités politiques ne sont disposées à laisser des apprentis sorciers jouer avec les phénomènes atmosphériques. Un billet du MIT Review, daté de février 2024, préconise un moratoire sur l’expérimentation de géo-ingénierie solaire jusqu’à ce qu’une évaluation contradictoire soit effectuée et que des modes de gouvernance internationale de telles pratiques soient approuvés. Il recommande de commencer par des expériences à échelle réduite, pour modéliser le comportement des aérosols répandus dans la stratosphère et monitorer les risques et les effets indésirables. Sur la base de ces expérimentations, une exploitation à plus grande échelle pourrait être envisagée. Le rapport de la commission de l’ONU s’étant penché sur cette question de la géo-ingénierie solaire présente les mêmes conclusions.

De fait l’interruption de SCoPEx va retarder le développement de la technique et inciter à approfondir les recherches et les conditions d’acceptabilité des techniques de géo-ingénierie qui ne manqueront pas de venir s’ajouter à la palette des solutions pour atténuer le réchauffement climatique d’origine anthropique sur une planète où la population n’a pas commencé à décroître, et où le stock de gaz à effet de serre libérés dans l’atmosphère non plus.

L’urgence dans certaines parties du monde rendra inévitable la bio-ingénierie. L’ensemencement des nuages est déjà utilisé par plusieurs pays. Il y a peu de chances qu’en cas de très grave crise due au réchauffement, des gouvernements n’y aient pas recours. La géo-ingénierie n’est pas la panacée, et ne doit pas se substituer à une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre, mais ne serait-il pas criminel de ne pas l’utiliser si cela peut permettre d’éviter des millions de morts comme l’imagine le philosophe et romancier Kim Stanley Robinson au début de son roman « le ministère du futur »?

Compte-tenu des grandes disparités dans les atteintes dues au réchauffement climatique et des capacités de résilience des pays du globe, il serait criminel de ne pas autoriser le recours à des technologies pouvant atténuer les souffrances des plus vulnérables. C’est plus la question des conditions de sécurité et de déploiement qui importe que celle de faire ou non. Comment faire pour que ces techniques soient déployées de manière généreuse, au bénéfice d’une majorité de la population humaine?

L’autre leçon que je tire de cette séquence, le rapport du comité d’experts indépendant ayant travaillé sur SCoPEx l’a souligné, c’est le travail nécessaire, dès la conception des expériences, dès lors qu’elles sortent du laboratoire, avec les populations pouvant être impactées par lesdites expériences. Alors que les concepteurs de SCoPEx pensaient que la conception même de l’expérience les mettrait à l’abri des critiques, l’acceptabilité sur le terrain a été la majeure pierre d’achoppement de la réalisation. Il est important de mobiliser au-delà du laboratoire. Et de penser en amont pour enrôler des porte-paroles. Les seules autorisations gouvernementales ne suffisent pas, et elles peuvent être rétractées en cas d’opposition massive dans l’opinion publique.

Je ne peux m’empêcher de penser aux nombreux travaux de Bruno Latour sur le génie pasteurien qui avait compris que la science ne pouvait se contenter de se faire dans le laboratoire, mais qu’il lui fallait convaincre l’opinion publique pour, rendre visibles les microbes, l’efficacité des vaccins, déployer ses découvertes.

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