L’énergie éolienne au Brésil, c’est le Pérou ?

par | Mar 11, 2024 | Développement durable, Ecologie, Energie renouvelable, Géographie | 0 commentaires

Saviez-vous que le Brésil est le champion incontesté des énergies vertes en Amérique du Sud? Saviez-vous, que ce pays a accompli en vingt ans une marche impressionnante vers l’indépendance aux énergies fossiles ?

Avec 83% de sa production énergétique provenant des énergies renouvelables, parmi lesquels 52% proviennent de la génération hydraulique, 14% de l’éolien, et 6% de l’énergie solaire, le pays a pris de l’avance. “Dans dix ans le Brésil sera l’Arabie Saoudite de l’énergie verte” plastronnait Luis Ignacio Lula da Silva récemment, lors d’une de ses visites à Ryad. Le président brésilien compte exploiter le potentiel éolien de son pays en énergie renouvelable pour produire de l’hydrogène vert à exporter dans le monde entier.

Il faut dire que le Brésil est le sixième producteur mondial d’électricité provenant des champs d’éoliennes, plus d’un millier ont été installées depuis 2009. Une grande partie de la production est concentrée dans le nord-est du pays, dont la moitié dans l’état du Rio Grande do Sul. La puissance installée a plus que décuplé en un peu plus de dix ans. Les études sont formelles, avec des régimes de vent très réguliers et bien établis, le potentiel est incontestable. De grands acteurs mondiaux de l’énergie se sont rués sur le filon, et y ont installé des champs d’éoliennes géantes. Le potentiel physique, économique et les facilités d’établissement dans cette région semi-aride et pauvre du pays les ont convaincus de l’intérêt de l’affaire.

Les énergies solaire et l’éolienne ont été classées comme des énergies propres par les autorités brésiliennes, ce qui les dispense de faire des études d’impact approfondies et d’en mesurer l’incidence sur l’environnement et la biodiversité locaux. Elles bénéficient de procédures simplifiées depuis la crise de 2001. A l’époque, un épisode de sécheresse record avait mis à mal la production hydro-électrique du pays, contraignant à des délestages. Considérés à faible impact, les projets ont été soumis à des études d’impact simplifiées qui ont réduit les temps de mise en construction. Il faut désormais un mois au lieu de six pour obtenir une autorisation, et les consultations des populations indigènes se résument à la tenue d’une réunion d’information des populations concernées.

En vingt ans, les éoliennes ont poussé comme des champignons dans les zones les plus favorables, et les habitants, qui n’avaient pas forcément anticipé les effets indésirables qu’auraient ces installations sur leurs conditions de vie, commencent à manifester des regrets dont certaines ONG se font aujourd’hui l’écho.

Dans des états très pauvres (près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté) et où le taux d’analphabétisme est élevé (12% dans le Rio Grande do Sul), les installateurs d’éoliennes ont fait de faire signer des contrats peu avantageux pour les petits propriétaires terriens sur les terrains desquels les pales géantes sont implantées, rendant certaines parcelles incultivables, et la proximité avec les grandes machines difficilement vivable.

Quand l’énergie verte est produite au détriment de l’environnement…

Observés sous l’angle de l’impact sur le réchauffement climatique, et la baisse des émissions de dioxyde de carbone, ces champs d’éoliennes sont indéniablement un succès. Lorsqu’on considère la vie des populations et les évolutions des écosystèmes locaux, l’histoire se complique.

L’implantation de ces centrales concentrant la production sur une surface réduite, occasionne la destruction d’un écosystème remarquable : la caatinga (même si la végétation locale est moins spectaculaire que sa voisine amazonienne) et des perturbations permanentes pour les riverains humains et non humains. La construction implique des travaux lourds, avec camions et engins de chantier, qui noient dans la poussière les villages alentours, causent des fissures dans les maisons, et une fois montées, un bruit continu. Le passage des lignes à haute tension est également source de nuisance. Des habitants se plaignent d’insomnie, de dépression.

Certains ne peuvent plus accéder à leurs champs pour lesquels ils reçoivent une indemnisation modique. La proximité des habitations cause par ailleurs un danger réel en cas d’accident. La distance minimale à respecter vis à vis des habitations est quasi-inexistante. Les pales d’une éolienne de 200 mètres située à moins de 100 mètres d’une maison peuvent faire des dégâts importants en tombant sur les habitations occupées ou non. Les accidents arrivent et certains riverains en gardent un goût amer. Les inconvénients vis à vis des populations humaines sont inévitables et finissent par apparaître. Comme l’exprime un universitaire ayant travaillé sur le sujet « si le prix de l’énergie est si bas, c’est que quelqu’un d’autre (que le producteur) en paye le prix : soit la biodiversité, soit les riverains».

Une étude a montré que 62% des installations dans les quatre états du nord-est brésilien (où se trouvent 80% des installations), l’ont été sur des terres précédemment non cultivées et non transformées par l’activité humaine. Dans certaines zones où vivent des espèces animales rares, certains oiseaux n’existent que dans l’écosystème de la caatinga, certaines plantes également, les éoliennes comme les lignes à haute tension sont des menaces directes pour la faune et la flore. Les communautés indigènes vivant près de la mer, dépendent de la zone de dunes colonisée par les champs d’éoliennes et doivent faire un détour pour avoir accès à la mer, ce qui gêne leur activité de pêche, la cueillette de végétaux importants dans leurs cultures, mais aussi les tortues marines venant chaque année pondre sur le sable, et sans doute des représentants de la faune plus discrets.

Les riverains et les populations indigènes sont désormais conscients des inconvénients de l’installation de ces super-installations et les mobilisations contre l’augmentation du parc pourraient entraver désormais des oppositions dont les producteurs ne pourront que prendre acte. La piste des éoliennes offshore est désormais explorée par le gouvernement brésilien mais se heurte à plusieurs difficultés. Les délais de construction sont trois fois plus longs et les coûts cinq fois plus élevés. Et on n’a pas commencé à évoquer l’impact sur la faune aquatique…

Cette histoire m’inspire plusieurs réflexions. La première c’est que ce qui pourrait une belle fable illustrant la transition énergétique d’un champion sud-américain révèle les apories de la situation. Décarboner la production d’énergie est indispensable à l’atténuation du réchauffement climatique, c’est un objectif qui sert l’intérêt très général de toute la population humaine de notre planète, la seule qui a besoin vital de l’énergie, mais cet objectif ne peut être obtenu sans porter atteinte à d’autres biens plus particuliers. Le bien-être des riverains comme la santé des écosystèmes pâtissent de ces installations.

La seconde concerne les entreprises productrices. Doivent-elles/peuvent-elles être plus vertueuses que ne les y contraignent les lois des pays dans lesquels elles s’implantent ? Nombre de ces entreprises, sur leurs sites Internet ou leur rapport annuel mettent en avant leur engagement vers des énergies renouvelables et décarbonées. Certaines se revendiquent « entreprises à mission », soucieuses du bien-être humain. Comment concilier ces engagements avec les externalités non négligeables subies par les riverains et les écosystèmes ?

Enfin, la troisième, et ce n’est pas pour rien pour un blog intitulé « Rendre Le Désert Habitable », c’est que les contrées désertiques ont du mal à se faire reconnaître comme des écosystèmes ayant une légitimité à être sauvegardés. Bien que classée par l’Unesco, la caatinga du nord-est du Brésil est perçue comme un paysage dégradé, et son exploitation n’est pas vue comme attentatoire à un écosystème important en soi. Tout se passe comme si ces paysages désertiques étaient des paysages par défaut, n’ayant pas de valeur en soi. Or, et nous l’avons évoqué à plusieurs reprises dans ce blog, le désert ou le paysage semi-aride n’est pas forcément le résultat d’un processus de « désertification », mais celui d’une adaptation à des conditions géologiques, météorologiques, biologiques. Ces écosystèmes ont un rôle à jouer dans le système de relation entre les différents écosystèmes terrestres, qu’il ne faut pas gommer trop vite, au prétexte qu’ils ne seraient pas évidents à percevoir.

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