Habiter le désert, les leçons de la nature

par | Déc 6, 2021 | Développement durable, Ecologie, Espace, Géographie | 0 commentaires

Peut-on habiter le désert, cet espace « à mille miles de toute terre habitée » ? Aux yeux occidentaux les espaces désertiques sont des antithèses des espaces « habités ». Les conditions extrêmes qui en sont caractéristiques, interdisent, à leurs yeux, l’établissement de vies animales ou humaines. Or, dès lors qu’on se pose, comme le Petit Prince, au milieu du désert on ne peut que constater que le vide est plein de vie. Il en héberge toutes sortes, des plus minuscules aux plus impressionnantes. Les humains n’y sont pas nombreux, et l’habitent en nomades sur un mode intermittent, ou dans ces formes urbaines très anciennes et très spécifiques que sont les oasis.

Comment concevoir l’habitat dans le désert ? Doit-on le concevoir comme une tabula rasa, un espace blanc, vide à habiter selon sa propre imagination et ses inclinations ? C’est le dilemme qui se pose dès lors qu’on crée de l’habitat humain. Les rationnels prennent en compte les caractéristiques physiques du milieu en laissant libre court à leur imagination et à leur confiance dans les technologies. C’est ce qu’ont fait les ingénieurs et urbanistes chargés de concevoir des cités liées à l’extraction de ressources naturelles, dans bon nombre de cités minières*. Mais la critique de l’urbanisation planifiée comme seul modèle possible trouve de plus en plus d’écho aujourd’hui notamment dans un ouvrage paru récemment: “Faire ville entre planifié et impensé La fabrique ordinaire des formes urbaines”. Les représentations de l’urbanisme ont pâti de la centralisation de l’attention sur la planification, laissant dans l’ombre la partie d’organisation spontanée et auto-structurée. Comment sortir de la prégnance de la planification?

On peut s’inspirer de ce qui a déjà été fait par des prédécesseurs humains, comme les bâtisseurs d’oasis, qui ont apprivoisé des bouts du désert pour y installer des villes qui ont tenu des siècles. On peut aussi réfléchir à partir des travaux sur d’autres habitants du désert ayant des besoins similaires à ceux des humains, notamment en eau et en nourriture, pour comprendre s’il n’y a pas des leçons à en tirer. Pour parler en termes technocratiques on pourrait innover à l’envers, en partant de l’observation et l’imitation des espèces animales qui ont réussi à survivre et à se reproduire dans ces environnements drastiques.

Comment les espèces animales, et notamment les mammifères, plus proches des humains par leurs besoins, réussissent-elles à survivre dans une niche écologique aussi rude que le désert ? Deux zoologistes : Delia et Mark Owens se sont posé la question dans les années 1970. Jeunes mariés, ayant vendu toutes leurs possessions pour financer leur voyage et le début de leur recherche, ils se sont installés au Botswana, dans une vallée nommée Deception Valley (la vallée trompeuse) du désert du Kalahari, une zone tellement reculée que les animaux ne craignaient pas les humains.

Le récit de leurs sept années de recherche à Deception Valley raconte comment ils ont dû s’organiser, dans cette terre hostile pour organiser un camp de base pour leurs observations. La première « ville » à proximité, Maun, était à un jour de route, et la logistique n’était pas toujours évidente. Lorsqu’il faut faire deux journées de route pour trouver de l’eau et du carburant, il faut être plus que sourcilleux sur leur emploi. Les animaux, les hyènes brunes, les lions à crinière noire et les chacals devaient aussi s’adapter à ces milieux désertiques où le thermomètre peut atteindre les 50 degrés.

Les interrogations des époux Owens étaient évidemment à propos de la survie de ces espèces, mais aussi des variations de stratégies par rapport aux espèces apparentées des habitats plus favorables : hyènes tachetées, lions du bush. Les espèces territoriales comme les lions couvrent des zones beaucoup plus grandes que leurs homologues des contrées plus tempérées. D’autres espèces choisissent la migration pendant que les conditions sont trop extrêmes et reviennent avec les pluies et les températures plus supportables. Par ailleurs, pour les espèces hautement sociales comme les hyènes, la notion de clan est beaucoup moins restreinte que chez leurs semblables d’Afrique du Sud. L’entraide en dehors du clan y est beaucoup plus fréquente. Les adultes aident les jeunes adultes voués à une mort certaine, même s’ils ne font pas partie de leur clan. Une belle leçon de solidarité qui montre, par ailleurs, que l’empathie est aussi présente dans le règne animal.

En quoi ces résultats peuvent-ils nous intéresser pour la conception d’habitat dans le désert ? Les leçons vont à contrepied des principes appliqués récemment. Elles plaident pour un habitat léger, clairsemé, économe, et solidaire. Elles incitent aussi à ne pas supposer que, parce qu’ils ne sont pas visibles, ces habitants du désert n’existent pas. Ne sont-elles pas à prendre en compte dans les projets d’établissement ?

  • J’en ai parlé, sur un mode plus personnel ici

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