Planter des arbres, c’est bon pour le climat ?

par | Fév 29, 2024 | botanique, Développement durable, Ecologie, Géographie, Science | 0 commentaires

La plantation d’arbres est depuis longtemps perçue positivement. Les politiques l’ont bien compris, qui posent complaisamment avec pelle et casque pour illustrer leur attachement à la paix, l’amitié entre les peuples, ou, plus récemment, leur amour de la nature. Nous sommes conditionnés à réagir positivement à de telles images. Symbole de concorde et de paix au vingtième siècle, la mise en place d’arbres est désormais un atout de la lutte contre le réchauffement climatique. Tapez « planter des arbres » dans le moteur de recherche de Google. Il vous proposera, sous l’onglet « pour compenser son empreinte carbone » 129 000 références en l’espace de 0,23 secondes.

Nous sommes désormais convaincus que planter des arbres est vertueux, et bon pour la planète. Les différentes conférences sur le climat, puis l’organisation des mécanismes de compensation carbone ont permis de multiplier les initiatives de plantation tous azimuts pour permettre aux occidentaux de consommer en soulageant leur conscience via le financement d’initiatives de reboisement. On ne peut donc que se réjouir que mille initiatives fleurissent sur tous les continents pour reboiser la planète.

Pourtant, quelques dissonances finissent par apparaître. Un rapport récent déplore le manque de contrôle de ces initiatives, qui plantent parfois moins qu’annoncé, ou dans des conditions où la survie des arbres était plus qu’aléatoire. Il apparaît également que dans certains contextes, planter des arbres pourrait être préjudiciable. La semaine dernière le site Popular Science, reprenant un article de la revue Nature, présentait les conclusions d’une étude de chercheurs allemands sur The African Forest Restoration Initiative. Passant en revue les réalisations, les chercheurs remettent en cause le bien-fondé de ce qui est devenu une des pierres d’angle de la lutte contre le réchauffement climatique.

The African Forest Restoration Initiative a promis de replanter cent millions d’hectares de forêt sur le continent d’ici 2030. Bonne surprise, les engagements à reforester atteignent 133 millions d’hectares, soit un tiers de plus que ce qui était prévu. Cependant la surface couverte dans dix-huit des pays signataires, excède la surface boisée initiale à l’intérieur desdits pays. La moitié des engagements empiète sur des écosystèmes non forestiers à l’origine. En termes scientifiques on a plus affaire à de l’aforestation (de la création de forêt) que de la reforestation (de la restauration de surface forestière). Or cela ne semble pas l’idée du siècle.

En empiétant sur les surfaces dévolues à d’autres écosystèmes, adaptés aux conditions locales, et pas forcément moins vertueux que la forêt pour la séquestration du carbone, ils déséquilibrent l’existant. Les efforts ne sont pas effectués aux endroits les plus affectés par la déforestation. Or, en plantant des arbres dans des écosystèmes de savane ou de prairie on risque de déséquilibrer le cycle de l’eau sur ces zones, et d’impacter négativement le climat. La survie des arbres des espèces inadaptées est faible, et l’effectivité de puit de carbone bien inférieure aux estimations affichées, puisqu’il faut que les arbres atteignent une certaine maturité.

La reforestation est donc un exercice plus compliqué qu’il n’y paraît. « La forêt n’est pas juste un agrégat d’arbres », comme le font remarquer les auteurs du dossier sur le sujet dans le numéro de décembre 2023 d’Epsiloon. Bien des choses se jouent au sein de cette communauté biologique qui fonctionne par une symbiose très particulière au point qu’ils comparent la forêt à un super-organisme, un holobionte, que les scientifiques commencent à comprendre plus finement. Grâce à l’accumulation des données par photos satellite depuis des années, à la modélisation de jumeaux numériques des forêts permise par la puissance de calcul des nouveaux ordinateurs, les scientifiques ont pu simuler la vie et les évolutions des 200 milliards d’arbres de la forêt amazonienne.

Ces observations permettent de déduire des règles qui régissent les forêts et président à leur bonne santé. La diversité en espèces et en âge est un atout majeur, comme la symbiose entre les différentes espèces et organismes qui la peuplent. Animaux, arbres, plantes, bactéries, champignons ont besoin les uns des autres pour prospérer. Les ressources en eau sont des produits de la forêt qui créent des microclimats. Le stress hydrique peut menacer cet équilibre localement, mais aussi celui d’autres milieux dépendant de l’eau pluviale issue de forêts à des milliers de kilomètres.

La reforestation n’est jamais qu’un pis-aller. La préservation des forêts intactes devrait être l’alpha et l’oméga de nos politiques forestières de lutte contre le réchauffement climatique. C’est le message de John W. Reid et Thomas E. Lovejoy dans leur essai : “Ever green saving the big forests to save the planet”. Le premier est économiste et a travaillé pendant des décennies sur les thèmes des forêts. L’autre, aujourd’hui décédé, était biologiste et s’est beaucoup investi dans des projets de sauvegarde de l’environnement.

Ce livre condense les enseignements des décennies passées à l’écoute des forêts et de leurs habitants, humains et non-humains. Les travaux de Lovejoy montrent notamment à quel point la taille est un facteur clé. Dans cet ouvrage, ils passent en revue les cinq zones de grandes forêts intactes (non impactées par les activités humaines) pour montrer les services rendus par celles-ci, mais aussi convaincre de leur utilité, de leur profonde symbiose avec les êtres qui les peuplent, humains et non-humains, et plaider pour qu’on les laisse tranquilles plutôt que d’essayer d’effectuer des prélèvements « raisonnés », ou envisager des restaurations des systèmes après déforestation.

Un paysage de forêt intacte, c’est une forêt d’au moins 500 kilomètres carrés sans routes, lignes électriques, mines, exploitations agricoles ou sylvicoles industrielles, et sans villes. En 2008, il y avait environ 2000 paysages de forêt intacte sur la planète, qui représentaient ¼ de la surface boisée. Une grande partie de ces paysages de forêt intacte est concentrée dans cinq mégaforêts décrites dans Evergreen. Ces mégaforêts, la taïga sibérienne, la forêt boréale nord-américaine, la forêt amazonienne, la forêt du Congo, et la Nouvelle Guinée, sont la clé de la survie de la planète.

Ces forêts, parmi les plus denses du monde, sont aussi les plus denses en carbone. Les forêts tropicales intactes, selon les auteurs, retient cinq fois plus de carbone que d’autres forêts de la même aire géographique. La forêt boréale retient l’équivalent de 190 ans des émissions de carbone mesurées pour l’année 2019. Garder le carbone dans les forêts tropicales coûte cinq fois moins que de réduire les émissions provenant des industries et de la consommation énergétique des Etats-Unis et de l’Europe. Cela coûte sept fois moins cher de s’abstenir de couper des arbres, que de reforester une fois qu’on a déboisé une parcelle.



« To keep Earth livable, we humans must grow out of our habit of transforming woods into landscapes of grass, shrubs, dirt and pavement.”


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