Réparer les sols pollués par les plantes? Les espoirs mesurés de la phytoremédiation…

par | Fév 13, 2024 | botanique, Développement durable, Ecologie, Science | 0 commentaires

Qu’ont de commun le ciste à feuilles de romarin, le saule pleureur, le peuplier, le tabac, la moutarde, le pélargonium odorant, le chanvre, le colza ou le tournesol ? Ce sont des végétaux, d’accord, mais encore? Vous donnez votre langue au chat ? Le point commun de toutes ces plantes, c’est qu’elles peuvent être utilisées dans des opérations de phytoremédiation des sols pollués.

Qu’est-ce donc que la phytoremédiation? Les activités humaines, l’urbanisation, l’agriculture intensive, les décharges de déchets industriels et ménagers, les activités industrielles, et notamment minières peuvent avoir un impact négatif sur les sols, les chargeant de métaux lourds ou d’éléments radioactifs qui les rendent impropres aux utilisations humaines, dangereuses pour la santé des populations, et nuire à la biodiversité.

La solution physico-chimique via l’excavation des sols et le dépôt sur des remblais, avec ou sans traitement des résidus par traitement chimique pour abaisser durablement la concentration des éléments problématiques a prévalu très longtemps. Cela se faisait au détriment de l’équilibre bio-géo-chimique du sol, le rendant complètement stérile. Depuis les années 1990 la phytoremédiation s’est développée, qui utilise la capacité de certaines plantes de restaurer le sol en métabolisant/extrayant les substances polluantes. Cet article paru la semaine dernière dans The Conversation en rend compte.

La phytoremédiation permet la réhabilitation de friches industrielles, la dépollution des sols d’installations abandonnées, ou de remblais miniers avec une biotechnologie végétale moins intrusive que les traitements par excavation. C’est un enjeu pour les anciens bassins miniers et industriels, comptant des sites contaminés, qui mitent le tissu urbain, créent des zones qui défient les tentatives de (re)développement. La ville de Montréal a utilisé récemment la phytoremédiation pour redonner vie à l’est de l’île de Montréal qui était couverte de friches industrielles, décourageant toute occupation. L’expérience montre, près de dix ans après, que l’utilisation bien comprise de végétaux aide à diminuer la concentration d’éléments polluants, valorise esthétiquement les terrains, améliore la qualité de l’air, séquestre du carbone, prévient la formation d’îlots de chaleur et favorise la biodiversité.

Cinq mécanismes divers permettent à des plantes spécifiques de jouer ce rôle en fonction de leurs caractéristiques propres. On parle de phyto-extraction lorsque ce sont les racines qui extraient les polluants des sols et les stockent dans leurs tiges et leurs feuilles. Des plantes comme le tournesol, le chanvre ou le colza par exemple, absorbent de cette manière les métaux et les radioéléments, c’est pourquoi ces derniers ont été utilisés aux alentours de Tchernobyl après la catastrophe.

Lorsque la plante séquestre les éléments polluants dans ses racines, on parle de phyto-stabilisation. C’est le cas des peupliers par exemple. La phyto-dégradation se produit lorsque la plante permet la dégradation des composés organiques, des hydrocarbures ou des pesticides grâce à des enzymes ou des microorganismes présents dans ses racines (c’est le cas des saules). La rhizo-dégradation désigne quant à elle le stockage des polluants dans les racines des plantes. Enfin lorsque les polluants passés par les racines et les feuilles sont devenus moins nocifs et sont libérés dans l’atmosphères par les plantes, on parle de phyto-volatilisation. Les plantes de la famille du tabac font ça très bien.

Cela fait maintenant trois décennies que des équipes de recherche tracent ce sillon, et que ces expériences aident à affiner les conditions de félicité de ces opérations de dépollution pour en améliorer leur rendement. L’analyse préalable des sols et des conditions climatiques est nécessaire avant l’implantation de végétaux permettant la phytoremédiation. Aujourd’hui, les chercheurs essaient d’accélérer les processus de dépollution en couplant l’action des plantes avec l’utilisation de certaines bactéries, ou de champignons mycorhiziens. La symbiose entre plante et champignon va permettre d’optimiser la neutralisation des polluants dans le sol.

En contrepartie, ce sont des techniques qui demandent du temps, le temps de la croissance des plantes et de la résorption des éléments. Les pistes de recherche continuent sur les axes d’amélioration d’une technique qui peut demander une dizaine d’années pour réhabiliter des sols pollués. Par ailleurs, il faut pouvoir disposer des parties de plantes où se sont concentrés les métaux lourds et des polluants sans les redisperser dans la nature… Des solutions de traitement de la biomasse sont à l’étude.

Enfin la phytoremédiation ne fonctionne pas sur les sols trop fortement pollués. Elle ne peut donc être que d’une portée limitée. Alors que notre modèle de croissance mondial repose sur l’extraction accrue de différents produits miniers, des terres rares, au cuivre, en passant par la bauxite, ceci doit nous interroger. Les exploitations minières laissent, dans les montagnes de déchets qu’elles occasionnent, des traces de nickel, cobalt, mercure, arsenic, zinc, cadmium, plomb, etc… dont la dispersion dans la nature est problématique, et rend la proximité des anciens puits, même abandonnés, inhabitable et dangereuse. Dans les pays pauvres, où a lieu la majorité des extractions et où les lois ne sont pas contraignantes, des pans entiers de territoires sont ou vont être durablement contaminés. La question de leur décontamination n’est jamais abordée.

Peut-on concevoir, alors que que la demande pour des produits comme le cuivre, l’aluminium, et les terres rares exigés par le développement des nouvelles technologies ne cesse de croître que l’on ne se pose pas la question, pour toute exploitation, de la “gouvernance des déchets” comme l’appelle l’historienne Gabrielle Hecht, professeure à Stanford? Nous les humains, déplaçons plus de roches et de sédiments annuellement sur la terre que tous les phénomènes d’érosion naturels spontanés. Alors que nous envisageons de continuer à creuser et entasser des remblais de déchets industriels qui finissent par empoisonner durablement la terre, les rivières, les nappes phréatiques et jusqu’à l’air que nous respirons, ne devrions nous pas prendre en compte la façon dont on pourra neutraliser les pollutions occasionnées dès le début de leur cycle de vie, et non une fois disparue la rentabilité de l’exploitation, laissant aux gouvernements impécunieux des pays du sud, la responsabilité de trouver la parade ?

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