Le changement climatique est un sujet d’actualité inscrit à l’agenda politique mondial depuis le sommet de la terre de Rio, et a gagné dans les premières décennies du vingt-et-unième siècle une place de choix dans les discussions nationales et internationales. Mais à quand remonte la préoccupation pour le climat? Cette préoccupation est-elle l’apanage des civilisations récentes? Et si elle a pu exister dans l’histoire était-elle teintée de la même angoisse existentielle que celle d’aujourd’hui?
Nous, les modernes, avons tendance à croire que notre époque serait, par essence, originale et distincte des autres, dans son avancement, et présenterait des découvertes inouïes inconnues de leurs prédécesseures. Il est toujours amusant de constater qu’il n’en est rien, et qu’autant les anthropologues que les historiens peuvent trouver, en farfouillant sur leurs terrains, ou dans leurs archives, la preuve que des concepts que l’on pense résolument contemporains ont connu, en d’autres temps, d’autres destinées. La réflexion sur le changement climatique et l’influence humaine sur lui ne date pas d’hier. Elle n’a même pas attendu le XIXème siècle et l’avènement de la science expérimentale! C’est ce que nous apprend la lecture de l’ouvrage : « Les Révoltes du ciel Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle » de Fabien Locher et Jean-Baptiste Fressoz. Non seulement l’existence du réchauffement climatique est attestée bien avant l’époque contemporaine, mais en plus, ce changement climatique était vu comme positif, et était recherché.
Alors que les sociétés savantes se disputent aujourd’hui pour savoir où et comment dater l’anthropocène (voir le précédent billet sur ce blog), certains historiens observent d’un oeil narquois les échauffourées et font, dans les archives, d’étonnantes trouvailles. Que nous disent Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher? Que la notion de réchauffement climatique apparaît au seizième siècle, alors que les français explorent les territoires septentrionaux de la Nouvelle France – qui englobe ce qui est aujourd’hui le Québec -. Ils cherchent à expliquer les hivers glaciaux de cette région. Partant de l’hypothèse héritée de la Grèce antique de climats identiques à latitude identique, on devrait trouver à Port Royal (premier nom de Québec) le même climat qu’à La Rochelle. Or il n’en est rien. Pourquoi?
Les observateurs de l’époque ont vite fait d’attribuer ces hivers à cette « forêt infinie » qui couvre les terres et modifient le climat. Les grands arbres protègent la neige et renforcent les hivers supputent-ils. C’est parce que ces terres n’ont pas été suffisamment exploitées, défrichées par les amérindiens, que le climat est aussi rude. Les amérindiens auraient-ils été aussi industrieux que nos paysans français, la forêt aurait reculé et laissé place à un climat plus doux. Au passage, c’est un bon argument pour légitimer la dépossession desdits amérindiens de leurs terres : s’ils ne les cultivent pas, ils ne les possèdent pas, et les européens peuvent donc s’en emparer pour le faire à leur place. C’est ainsi qu’apparaissent les premières colonies.
Dans le raisonnement tenu par les européens, si l’on défriche/cultive les terres américaines, on en améliorera le climat. La préoccupation pour le changement climatique est donc assez ancienne, et, à l’époque, le changement climatique est considéré comme une chose positive par la pensée européenne. Par la suite, les colonisateurs sont persuadés qu’ils améliorent le climat de la Nouvelle France, ils effectuent des enquêtes auprès des habitants qui ressentent une amélioration bien avant l’arrivée des premiers thermomètres et de la mode des relevés de température.
Plus tard, au dix-huitième siècle, le savant Buffon, grand naturaliste français, évoquera dans ses écrits le fait que l’homme a le pouvoir de modifier le climat des zones qu’il habite et en fixer le température au point qui lui convient. Du seizième au dix-neuvième siècle, non seulement la croyance de l’influence de l’agir humain sur le climat est répandue en occident mais elle est en plus connotée positivement! Il paraît naturel que l’homme cherche à modifier le climat.
Au dix-neuvième siècle, cette croyance disparaît. Il faut dire qu’en avril 1815, l’éruption du volcan Tambora en Indonésie, projette des millions de tonnes de cendres volcaniques dans l’atmosphère et modifie durablement le climat de la planète entière. L’année 1815-1816 sera nommée en Europe « l’année sans été », les récoltes sont gâchées, la famine sévit sur tout le continent qui gèle au mois d’août. En Chine, les récoltes de riz sont affectées, des millions de personnes meurent, et les paysans se convertissent à la culture du pavot, moins exigeant et plus rémunérateur. Dans le golfe du Bengale, privé de mousson, un nouveau germe du choléra se développe qui se transmettra jusqu’en Russie et en Europe. Les mauvaises récoltes aux Etats-Unis causent à ce jeune pays sa première crise économique d’importance…
Le propos du livre est plus complet, et je vous enjoins à le lire, mais j’ai trouvé son argument fascinant à plusieurs titres. Mettant en évidence la façon dont le réchauffement climatique en Europe a été connoté positivement historiquement, l’ouvrage permet de questionner les imaginaires, et retrouver des représentations qui sont ancrées dans l’inconscient culturel et peuvent encore nous jouer des tours.
Oui, le changement climatique, qu’on appelle désormais anthropique, a pu être considéré comme un objectif désirable. Et sans doute en est-ce encore le cas pour certains. Même si, selon le dicton, il y fait beau « plusieurs fois par jour », les habitants de régions réputées pluvieuses, comme la Bretagne ou la Normandie, ne sont-ils pas mécontents de gagner quelques jours de soleil en plus et des températures moyennes plus clémentes? Certaines espèces végétales ou animales ne profitent-elles pas du réchauffement pour se développer en dehors de leur zone géographique habituelle, augmentant leurs chances de survie? En soulignant le fait que l’interprétation du réchauffement climatique n’est pas forcément univoque, et qu’il peut avoir été vécu positivement, les auteurs montrent d’où peuvent venir des résistances ataviques à la lutte contre ce réchauffement.
La réflexion sur le rôle des forêts est d’autant plus importante que la reforestation est désormais brandie à tout bout de champ comme l’une des solutions phares au réchauffement climatique. Les représentations des forêts comme puits de carbone et espaces bienfaisants sont récentes et s’opposent à celles d’un moyen-âge européen qui y voyait une menace pour la civilisation. La forêt y est le siège des esprits, des brigands, c’est l’endroit où l’on s’égare, où l’on va perdre ses enfants dans les contes folkloriques. Quelle surprise de les voir aujourd’hui cataloguées comme des sauveuses possibles de l’humanité grâce à leur potentiel de fixation du carbone. Alors que le défrichage des forêts a été une pratique très ancienne, qui a modelé les paysages de l’Europe occidentale. La « civilisation » allait de pair avec la mise au pas des forêts qui s’est accélérée avec la révolution industrielle. La forêt était un élément à domestiquer et renvoyait à un imaginaire sauvage.
Enfin la lecture de l’ouvrage suscite une interrogation sur la façon dont nous devons concevoir la reforestation, compte-tenu de cette histoire. Qu’est-ce que reforester? Est-ce juste replanter des arbres ou réinventer, réimaginer une façon de vivre en bonne intelligence avec ces forêts replantées. Ne devrions-nous pas considérer que reforester, c’est aussi reculturer, redonner une signification culturelle au-delà de « sauver la planète en plantant des arbres », de resocialiser en replantant. Devrions-nous, comme dans la suggestion de Francis Halle pour recréer une forêt primaire en Europe, en faire un sanctuaire où l’homme n’aurait le droit d’entrer que s’il en est le gardien, ou alors à des localisations particulières ?
Last but no least, se pose le problème de la reforestation dans les pays du sud, dont certains des habitants ont beau jeu de souligner le caractère problématique. Pour remédier à un réchauffement climatique d’origine anthropogénique largement causé par le nord, on veut barricader des espaces « vierges » dans certains pays du sud en leur déniant, au nom de l’humanité, le droit d’en user à leur guise. Les peuples indigènes se sont vus, à partir du seizième siècle, dénier le droit à ne pas intervenir sur la forêt au nom de l’impératif de civilisation. Au vingt-et-unième siècle il subissent une injonction opposée : l’ imposition de la reforestation, et l’interdiction de l’exploitation qui se font, cette fois-ci, au nom de la survie d’une humanité dont ils ont parfois l’impression d’être le dindon de la farce.
0 commentaires