“Le plus gros problème du système alimentaire mondial est le système alimentaire mondial”
Geoge Monbiot Regenesis
Il y a quelque chose de pourri dans le système alimentaire mondial. C’est une vérité que nous avons du mal à percevoir, nous, européens qui ne connaissons plus la faim, avons accès à une variété d’aliments qui auraient paru follement exotiques à nos grands-parents, et pouvons déguster, grâce au développement du commerce mondial, des fraises en hiver et des pommes en été.
Pourtant, les rapports de la FAO en font le constat de plus en plus accablant, quelque chose s’est grippé dans le système. La pandémie de Covid, puis la guerre en Ukraine ont montré la faible résilience d’un sytème qui accroît désormais les risques de famines dans les parties du globe les plus fragiles, au moment où les coûts environnementaux et sociaux du système agricole développé depuis les années 1960 deviennent de plus en plus évidents : la pollution des sols des rivières, et des nappes phréatiques, l’augmentation de la déforestation pour cultiver des aliments pour le bétail, la perte de la biodiversité en sont des exemples.
“Regenesis: feeding the world without devouring our planet”, un essai de George Monbiot, activiste, écrivain, et contributeur régulier du Guardian, pose de façon intéressante l’aporie du système alimentaire mondial et la difficulté à répondre aux différents défis qui se posent à l’humanité. Son argument est simple : le système alimentaire mondial a convergé depuis cinquante ans, vers une alimentation, et partant une production agricole, de plus en plus standardisées. Notre nourriture est plus diverse localement, mais moins diverse globalement.
La plus grande partie de notre nourriture est fournie par un nombre réduit d’aliments. 60% des calories produites par l’agriculture viennent du blé, du riz, du maïs, et du soja, dont la production est concentrée dans quelques régions du monde. 40% des habitants de la planète ne peuvent désormais plus se passer des produits alimentaires provenant d’autres nations. Ce qui est bon pour le commerce mais peut-être aussi une menace lorsque des tensions géopolitiques ferment l’accès à ces ressources, on l’a vu avec la guerre en Ukraine et les difficultés de certains pays dépendant du blé ukrainien. Ce qui a permis cette spécialisation, c’est la montée en puissance d’un système agricole basé sur le capitalisme agraire, la concentration des terres et des moyens de production.
Le marché agricole mondial est désormais composé de super importateurs (certains pays d’Afrique du Nord, du Moyen Orient et d’Amérique centrale sont massivement importateurs de céréales et ne disposent ni des terres ni des conditions hydrologiques pour pouvoir cultiver sur leurs terres) et de super exportateurs (qui consacrent leurs terres à des monocultures, et sacrifient d’autres récoltes).
Le système a perdu de sa résilience, présente un risque de vulnérabilité plus grand et un risque de contagion globale. La convergence implique une perte de diversité qui offre peu de solutions de repli lorsqu’une récolte majeure est affectée. Nous avons une agriculture hautement subventionnée -aux alentours de 600 milliards de dollars par an au niveau mondial- un nombre de personnes souffrant de malnutrition qui recommence à croître selon les données de la FAO, alors qu’un tiers de la production alimentaire mondiale finit à la poubelle.
Notre système de production alimentaire marche sur la tête. Nous produisons en dépit du bon sens, en stérilisant les sols agricoles à coup de labourage et d’épandage de produits chimiques, et en les épuisant. Notre type de production est par ailleurs moins résilient car plus homogène et standardisé. Nous ne laissons pas la terre se régénérer. Or si nous voulons limiter le réchauffement climatique, et ses effets délétères sur l’humanité, il faut diminuer notre production de gaz à effet de serre, dont l’agriculture est un des agents majeurs, (23% des émissions anthropiques de GES au niveau mondial), préserver le rôle de puits de carbone de certains espaces naturels, et protéger la biodiversité en ré-ensauvageant une partie des terres cultivées.
La plaidoierie de George Monbiot est très convaincante, même si elle heurte des croyances profondément ancrées et réconfortantes. Oubliez les prairies anglaises idylliques des tableaux de Gainsbourough ou paissent des moutons grassouillets. Selon George Monbiot les pâtures des moutons qui dominent la campagne anglaise ont un coût écologique conséquent. « Il y a plus d’arbres dans un hectare de certaines parties de Londres que sur les collines “sauvages” sur lesquelles paissent les moutons ». L’élevage extensif utilise 51% de la surface de la Grande Bretagne alors que les zones habitées par les humaines comptent pour seulement 7%. Plus il y a de surface consacrée à l’élevage, moins il y en a pour les bois, les marais, les écosystèmes naturels. Les pâturages ont été aménagées sur d’anciennes forêts, prairies, marais, et ont contribué à la quasi disparition d’espèces qui en étaient les occupantes. Par ailleurs l’augmentation de la part carnée de notre alimentation contribue au défrichage de savanes et de forêts dans des pays comme le Brésil ou l’Argentine, pour y cultiver des céréales et du soja destinés principalement au bétail.
L’élevage et l’agriculture ont un grand impact écologique. Si l’on veut minimiser cet impact, il faut minimiser la surface qui y est consacrée. Une surface qui croît, à la fois du fait des défrichages pour pâturage et de la déforestation pour fournir les tourteaux de soja, complément alimentaire indispensable à l’élevage. L’épandage des résidus de l’élevage, paille souillée, fumier, pose par ailleurs des problèmes de pollution à l’azote des sols, des rivières, et in fine des océans.
Il est urgent, selon George Monbiot, de regénérer l’agriculture mondiale en se détournant de l’élevage, ce qui réduirait d’autant l’utilisation des sols pour les pâtures et les cultures complémentaires. L’élevage, au niveau mondial utilise 40% des terres agricoles, et produit 14% des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Pour le reste, il faut profondément réformer la façon dont on produit, se détourner des monocultures, en inventant une agro-écologie qui permette de regénérer les terres et favoriser la biodiversité. Les ressources du sol sont mal connues et insuffisamment explorées. En travaillant de nouvelles espèces, en introduisant des céréales pérennes, en favorisant la rotation des cultures, en labourant moins, voire en abandonnant les labours, on peut réinventer une agriculture bonne à la fois pour les humains et pour la planète.
Si nous acceptons cette vérité désagréable, que l’agriculture est la cause la plus importante de destruction environnementale de notre planète, et l’argument développé par George Monbiot est assez convaincant, comment le faire sans ceux qui sont concernés au premier chef dans la modification de la production que sont les agriculteurs? George Monbiot nous fait rencontrer dans son livre, des acteurs qui ont pris le problème à bras le corps. Il est assez honnête pour reconnaître que ces expériences sont exceptionnelles et assez fragiles, et reposent sur des conditions particulières localement. Le passage à l’échelle de ces succès locaux n’est pas évident, et demande la conversion d’un système qui ne se limite pas aux acteurs locaux, mais implique la distribution et la commercialisation, et le consommateur final.
C’est une question cruciale, alors que le malaise des agriculteurs européens se fait entendre, aux Pays Bas, en Pologne, en Roumanie, en Allemagne, en France. A Bruxelles, devant le siège de la commission européenne, les manifestations s’intensifient. Sont mis en cause la pesanteur des normes européennes, notamment dans le cadre de la transition énergétique; ainsi que les charges financières de plus en plus difficiles à assumer pour une grande partie des agriculteurs. Affaire à suivre!
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