Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable !
Poème sur le Désastre de Lisbonne Voltaire 1765
Ô de tous les mortels assemblage effroyable !
D’inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez: « Tout est bien »,
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Les tremblements de terre font partie de ces évènements de la vie planétaire qui ne laissent d’interroger les humains sur le sens de leur présence sur terre et sur les causes des cataclysmes. L’injustice qui frappe aveuglément les populations d’une zone donnée, brisant des vies et en épargnant d’autres dans une arbitraire cruauté frappe l’imagination. Pourquoi? Face au drame, l’esprit humain ne peut s’empêcher de chercher un coupable, une justification au carnage. Comme Voltaire – et d’autres beaux esprits du siècle des lumières – en son temps, on cherche un responsable, une explication à une tragédie hors normes.
Le séisme du 8 septembre dans la région de Marrakech n’a pas fait exception. Après le temps de l’urgence, de la mobilisation des équipes de secours et des funérailles, est venu celui des bilans, du décompte des morts, des dégâts matériels, du relogement provisoire des survivants, et des plans pour la reconstruction. Une grande partie des dégâts constatés l’a été sur des bâtiments d’architecture dite “vernaculaire” en terre crue ou en pisé, cette région étant particulièrement riche en villages de constructions traditionnelles, la sécurité de ce type d’habitat a été désignée dans la presse locale comme responsable du nombre important de victimes (aux alentours de 3000 morts et 6000 blessés). Les constructions se seraient, effondrées, réduites en poussières et auraient asphyxié une partie des victimes. Des journaux ont souligné le taux de destruction dans la Medina de Marrakech et dans de nombreux villages de montagne du Haut Atlas et l’ont attribué à des techniques de construction inadaptées en zone sismique. Faut-il donc abandonner les techniques de construction traditionnelles des douars et des oasis pour la reconstruction, et privilégier le béton, au risque d’abandonner ce qui fait l’identité de tout ce territoire montagneux ?
Ayant écrit sur ce blog plusieurs articles vantant les mérites de l’architecture vernaculaire, ces accusations m’ont interrogée. Faut-il vouer ces techniques de conception et de construction d’inspiration traditionnelle à l’oubli? Doit-on, en dépit du bilan carbone désastreux du secteur moderne de la construction, tout reconstruire en béton? La sécurité de la population rend elle inévitable le bétonnage des pentes du Haut Atlas?
Il faut considérer plusieurs angles pour évaluer si la gravité des conséquences du séisme aurait pu être moindre. Les conséquences d’un séisme et le nombre de victimes dépendent de plusieurs facteurs qui excèdent la seule qualité du bâti. La gravité des conséquences d’un tremblement de terre dépend de l’intensité des secousses, de la proximité des lieux habités avec l’épicentre, de la densité de population et éventuellement la qualité du bâti, sans parler de la rapidité du déploiement des secours et des moyens mis en oeuvre. Il est toujours difficile de déterminer lequel de ces différents facteurs a aggravé le bilan.
Une rapide recherche sur des tremblements de terre récents, en Iran, au Chili, au Népal, montre que ce type d’accusation faisant porter la responsabilité des victimes à l’architecture vernaculaire est classique. A tel point que les autorités chiliennes ont voulu interdire la reconstruction de maison en adobe après un énième tremblement de terre dans les années 2010. Cependant, les bâtiments en béton ne sont pas épargnés, comme le montrent les nombreux exemples récents au Maroc, en Turquie ou au Chili.
En dehors de ses aspects pittoresques, l’architecture vernaculaire est le produit de l’adaptation des populations locales aux caractéristiques de leurs milieux. Si des bâtiments emblématiques, comme la mosquée de Tinmel, se sont effondrés, d’autres, connus ou moins connus ont très bien résisté. Des études montrent que dans les zones soumises régulièrement à une activité sismique, les constructions ont intégré des dispositifs d’atténuation des effets des secousses, comme le montrent les recherches de l’architecte suisse Milo Hoffman qui a écrit une thèse sur les dispositifs traditionnels antisismiques des habitats vernaculaires du bassin méditerranéen. Il souligne qu’on retrouve des dispositifs similaires en allant vers l’Asie Centrale et jusqu’au Népal.
Quel que soit le bâti, il y a toujours des risques, soulignent, dans leur communiqué commun, l’ICOMOS, l’ISCEAH (le comité scientifique international patrimoine et architecture de terre) et le CIAV (le Comité International sur l’Architecture Vernaculaire). Si un nombre important de bâtiments s’est effondré dans la médina de Marrakech et dans les villages de montagne, c’est dû aux caractéristiques du séisme à l’intensité des secousses, à la proximité de l’épicentre du tremblement de terre, mais aussi aux rénovations qui ont alourdi ou affaibli les structures de ces maisons en terre crue traditionnelles. La mauvaise conception, le manque d’entretien, ou les rénovations hâtives ont pu compromettre la résistance des bâtiments aux séismes.
Un architecte belge qui a participé à la rénovation de certains bâtiments de la Médina de Marrakech, remarquait en octobre 2015, dans un billet sur le blog de l’association des architectes belges, que la mode des riads avait entraîné des rénovations largement ignorantes de la structure de portance des maisons. L’ajout ou l’agrandissement des ouvertures, les surélévations et l’ajout de toits terrasses ont modifié alourdi les maisons. Pour les propriétaires assurés, les assurances vont sans doute déterminer dans quelle mesure ces rénovations ont fragilisé les édifices.
Pour les propriétaires des habitations des petits villages ruraux, non assurés, le dilemme de la reconstruction sera tout autre. L’Unicef parle de 300 000 personnes à reloger. Certaines vivaient dans des douars de zones reculées, aux maisons complètement détruites. Ces petites maisons pittoresques en pisé laisseront-elles place à des constructions en béton dans des zones rurales d’habitat dispersé ? Les architectes soulignent que pour ces villages privés d’infrastructures, la difficulté d’accès des secours en témoigne, l’acheminement même des matériaux nécessaires à la construction en béton pourrait être un frein à la reconstruction. Mais comment concilier l’urgence de reloger les habitants dans des habitations leur permettant d’affronter les frimas des hivers de l’Atlas et éviter de voir mourir des communautés rurales déjà fragilisées qui conservent un patrimoine culturel important? Les autorités marocaines prônent une reconstruction respectant ce patrimoine architectural unique, mais comment s’assurer de la conformité de la réalisation?
Le savoir-faire de la construction de ces maisons en pisé a parfois disparu. Il faut intégrer les normes antisismiques de constructions prévues dans la loi marocaine de 2013, adoptées après le tremblement de terre d’Al Hoceima, mais pas forcément appliquées, pour atténuer autant que faire se peut les effets d’un futur séisme dans les zones les plus à risque. Il n’y a pas de solution miracle, et c’est aux populations locales et à leurs autorités de se déterminer en fonction des ressources disponibles et de l’urgence. L’expérience marocaine pourrait être un exemple de redéploiement du savoir faire de construction vernaculaire, durable et économe en moyens et en carbone en instruisant toute une nouvelle génération aux techniques séculaires réactualisées.
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