« Some of us who live in arid parts of the world think about water with a reverence others might find excessive. The water I will draw tomorrow from my tap in Malibu is today crossing the Mojave Desert from the Colorado River… »** Joan Didion, Holy Water, 1977
Dans un reportage écrit pour un magazine américain à la fin des années 1970, Joan Didion, la reine de l’écriture de non-fiction californienne, native de Sacramento et installée à Malibu, raconte combien l’eau est une ressource cruciale pour l’état de Californie, et pour Los Angeles en particulier. Ce texte, Holy Water, est devenu un classique au point qu’il est étudié en cours par les lycéens californiens. Le relisant aujourd’hui, on est étonné de sa pertinence.
Cinquante ans après, la question de gestion de la ressource en eau fait de nouveau d’actualité. Pour la native de Californie dans l’immédiat après-guerre, le miracle de la disponibilité en eau était avivé par le souvenir des périodes où le gargouillis des robinets annonçait la fin de l’été et l’approche de l’épuisement du puits, et celui des périodes où il fallait se garder des risques de crues des rivières californiennes brusquement gonflées par l’orage et qui se précipitaient vers les vallées pour y dévaster tout ce qui s’opposait à leur passage. La construction de barrages et retenues d’eau, tout au long du cours du Colorado et de ses bras en aval a domestiqué le grand fleuve, et permis l’expansion formidable du sud de la Californie, mais le spectre de l’assèchement de la ressource revient hanter les vies des californiens après des étés de sécheresse inédite.
Les épisodes de pluies diluviennes de janvier 2023, ont mis en avant l’absurdité d’une urbanisation qui a accru d’une façon tentaculaire la mégapole des anges en l’étendant toujours plus loin dans les vallées adjacentes et jusqu’aux portes du désert, multipliant l’artificialisation des sols. L’eau, qui se déverse en torrents des nuages, ruisselle sur les routes et autoroutes, déborde des caniveaux et poursuit sa course où elle le peut, semant dans son sillage stupeur et dévastation.
Si dans certains endroits, les circuits de dérivation de l’eau de pluie ont été relativement bien pensés, ces épisodes ont remis au goût du jour la nécessité de bien gérer une ressource en eau se faisant rare. Jusqu’à présent, les infrastructures avaient pour objectifs de renvoyer directement l’eau tombée du ciel vers la mer ou vers une usine de retraitement. Ne serait-il pas plus judicieux, alors que l’eau vient à manquer, de favoriser l’infiltration de l’eau de pluie dans le sol pour qu’elle recharge doucement les nappes phréatiques ?
Certaines solutions sont déjà à l’étude ou appliquées sur de petites échelles. Dans un article récent, Oliver Wainwright, journaliste traitant des questions d’urbanisation pour le Guardian relate quelques expériences tentées dans la ville de Los Angeles. Cité emblématique de la bétonisation avec ses milliers de kilomètres d’autoroutes qui serpentent au-dessus de quartiers tentaculaires, LA est désormais le lieu d’expérimentation d’un nouveau type de jardins : les jardins collecteurs d’eau, permettant de retenir l’eau, filtrer et stocker dans le sol le précieux liquide.
Ces initiatives ont vu le jour depuis 2018 et la mise en place d’une taxe pour financer le Safe Clean Water Program. Celle-ci finance des projets permettant de rationaliser la ressource en eau. Oliver Wainwright évoque notamment l’installation d’un jardin public, long de plusieurs kilomètres, sur une bande de terre séparant deux routes, planté de végétaux résistants à la sécheresse bordant une rivière en galets. Le ruisseau sinueux absorbe l’eau, envoyée dans une centaine de puits secs creusés en dessous, qui collectent également les eaux des drains locaux, les filtrent et les stockent dans les aquifères. Un seul orage au mois de janvier aurait permis de collecter 98 millions de gallons (soit un peu plus de 300 millions de litres).
Ce type d’ouvrage capte l’eau de pluie tout en permettant de reverdir des espaces arides, diminuer les îlots de chaleur grâce à ses plantations, et favoriser la séquestration du carbone. Un projet de verger urbain abritant un vivier de poissons d’eau douce d’espèces menacées est à l’étude, entre une portion d’autoroute et la LA river, tout comme la réalisation d’un parc inspiré des écosystèmes des zones humides, avec une retenue d’eau servant de bac de filtration.
Certains universitaires locaux pointent du doigt le fait que ces innovations ne concernent que certains quartiers, les plus sensibles à la rhétorique écologique. Les projets s’implantent aux endroits abritant les associations promouvant les opérations. Il n’y a pas non plus de coordination inter-projets. La pertinence des projets par rapport à la nature des sols et au positionnement des aquifères ne fait pas toujours l’objet d’évaluations idoines.
Souvent, rapportent les critiques, leur bien-fondé est plus lié à la nature des populations desservies plutôt qu’un arbitrage par rapport à une rentabilité globale, ou une maximisation du bien commun. Elle se heurtent également à un risque de défaut d’entretien des installations et d’essoufflement de la dynamique en cas de changement d’acteurs. On se retrouve face au dilemme classique : planifier et négocier avec des acteurs pas toujours au fait des enjeux, ce qui implique une planification sur un terme plutôt long, ou profiter de la dynamique des initiatives individuelles et locales et gagner du temps.
La gestion de l’eau, sur une planète où le stress hydrique risque de s’accroître sur une bonne partie des territoires habités, est désormais l’affaire de nombreux habitants de notre planète. La gestion durable de l’eau fait partie des secteurs-clés des cleantechs, qui développent des innovations importantes pour préserver une ressource que l’on ne peut plus considérer comme inépuisable. Ce secteur des plus prometteurs foisonne de propositions de tous types. Mais mieux vaut prévenir que guérir.
La loi française implique zéro artificialisation nette des sols à l’horizon 2050, c’est à dire pas d’artificialisation des sols qui ne soit compensée par une « renaturation » équivalente. Cependant, le coût de « renaturation » de surfaces artificialisées est particulièrement onéreux. S’il faut encourager les solutions palliatives proposées par les cleantechs, Il n’est pas inutile de plancher sur des schémas préalables de préservation des sols, de la biodiversité et des ressources en eau bien en amont des nouveaux projets d’artificialisation.
Une leçon à méditer collectivement, particuliers, collectivités et entreprises, qu’elles soient agricoles ou autres. Une invitation à réfléchir urgemment à la façon dont nous utilisons la ressource eau, la plus précieuse, la plus sacrée (?) pour garder notre planète habitable.
*Eau sainte ou sacrée, titre d’un essai de 1977 de l’écrivaine californienne Joan Didion
** “Ceux d’entre nous qui vivent dans des zones arides du monde ont pour l’eau une pensée teintée d’une révérence que d’aucuns peuvent trouver excessive. L’eau qui sortira demain de mon robinet à Malibu traverse en ce moment le désert de Mojave après avoir quitté le fleuve Colorado”
La collecte des eaux de pluies est effectivement un impératif pour face face aux périodes de sécheresse prolongée.
Malgré des précipitations record ces dernières semaines, une grande partie de la Californie est encore officiellement en état de sécheresse. Là est le paradoxe.
Il existe des solutions, notamment au Moyen Orient et en particulier en Israël, pour systématiser cette collecte des eaux de pluie. L’Ouest Américain n’a pas cette réflexion stratégique sur son infrastructure.
Le réchauffement climatique pose aussi la question de la pérennité de la neige en altitude, qui sert traditionnellement de réservoir d’eau à écoulement progressif, pour les saisons chaudes.
Un commentaire sur ce passage:
“Ne serait-il pas plus judicieux, alors que l’eau vient à manquer, de favoriser l’infiltration de l’eau de pluie dans le sol pour qu’elle recharge doucement les nappes phréatiques ?”:
L’un des problèmes est qu’un sol rendu plus aride par la sécheresse devient imperméable.
Merci Bernard de cette lecture attentive. Ce qui est frappant, c’est de voir que l’on revient, moins d’un siècle après les grands barrages qui ont permis le développement de toute la partie sud de la Californie, dans une situation de pénurie. Et qu’il faut commencer à prendre le sujet au sérieux avec une gestion d’autant plus drastique, comme tu le soulignes, qu’il y aura moins d’eau provenant de la fonte des neiges, et une imperméabilité des sols. Le creusement de petits canaux comme ceux des jardins secs est censé favoriser cette infiltration de l’eau. C’est d’ailleurs une technique utilisée depuis des siècles en Espagne, je l’avais évoqué dans un précédent billet. Et qui existe dans les campagnes bocagères où les fossés enherbés réinfiltrent une partie des eaux de pluie avant de les convoyer vers les ruisseaux et les rivières.