La longue croisade de l’homme plastique

par | Mar 13, 2023 | Développement durable, Ecologie | 1 commentaire

Le billet de cette semaine n’est pas directement sur le désert, mais sur une inquiétude partout présente sur la planète, celle de la pollution plastique qui est devenue une des grandes menaces de la biodiversité, qui contamine terre et mer, ainsi que les organismes vivants, et pourrait rendre certaines zones de notre planète inhospitalières. Rencontre au Sénégal avec l’Homme Plastique qui combat sans répit cet ennemi encombrant.

Il y a quelque chose de Quichottesque dans la quête de Modou Fall, alias L’Homme Plastique, qui se consacre depuis vingt ans à lutter contre les déchets plastiques infestant les moindres recoins du Sénégal, souillant ses villes, ses villages, ses plages, ses savanes et ses rivières. L’été dernier, il a effectué une marche entre Dakar et Saint-Louis, pour faire prendre conscience à ses concitoyens que les déchets plastique n’étaient pas seulement inesthétiques, mais aussi dangereux pour leur environnement et pour leur santé. Sa silhouette dégingandée, la tête couverte du béret bleu ciel de son service militaire, vêtu d’un costume bigarré confectionné par ses soins à l’aide de sacs plastiques usagés collectés dans la nature, et un drapeau sénégalais, lui confèrent une stature de super-héros, facilement reconnaissable. Il tient une place à part parmi les activistes écologistes au Sénégal. Cela fait vingt ans qu’il organise des causeries autour du sujet, sur les marchés, sur les plages, qu’il rencontre des gens dans les ministères, les mairies, les écoles, ce qui lui vaut une certaine notoriété. En 2015, il a même été décoré de l’Ordre National du Mérite par le président Macky Sall.

Les enfants l’adorent. A tel point que certains, pour fêter Mardi Gras cette année, se sont déguisés en « homme plastique » et lui ont envoyé des photos. Il croit en l’effet bénéfique de la sensibilisation dès le plus jeune âge. Il faut prêcher les enfants pour faire en sorte que les mères n’emballent plus le goûter qu’elles leur fournissent pour l’école dans du plastique à usage unique qui se retrouve dans la nature. Toujours en mouvement, il prêche inlassablement l’évangile du ramassage et du recyclage.

Au Sénégal, pays qui a connu une urbanisation accélérée* depuis la fin du vingtième siècle, la collecte des déchets est très parcellaire. 40% de la population sénégalaise a accès à un service de collecte via l’UCG (l’unité de coordination de gestion des déchets solides), principalement dans les grandes agglomérations. Pour les autres, cela dépend de la bonne volonté locale et de l’organisation des habitants. Les décharges sauvages sont fréquentes, le brûlage des tas d’ordures aussi, et les scories polluées s’éparpillent avec le vent. La grande décharge de Dakar, la tristement célèbre Mbeubeuss, montagne de déchets à ciel ouvert, qui couvre la surface de 114 hectares et fait vivre 2000 personnes, a contaminé d’ores et déjà la nappe phréatique voisine et les terres agricoles, n’est que la face émergée de l’iceberg du traitement des déchets d’un pays dont la démographie explose et dont l’urbanisation n’a pas été pensée pour permettre l’assainissement et la gestion des déchets.

L’industrie du recyclage est balbutiante, et la capacité à traiter des déchets plastique ne dépasserait pas 10% des déchets produits chaque année. J’ai eu le privilège de m’entretenir longuement avec Modou Fall dont j’espère retraduire fidèlement les propos.

BR: Bonjour, pourriez-vous vous présenter brièvement et nous expliquer comment en êtes-vous venu à endosser cette croisade ?

HP: Je m’appelle Modou Fall, je suis né en janvier 1973 à Dakar. De 1998 à 2000, j’ai fait mon service militaire en poste à la frontière du Sénégal et du Mali. C’est là que j’ai commencé à me rendre compte qu’il y avait un problème majeur avec ces déchets plastiques. Des sacs plastiques étaient jetés partout dans la nature.

Quand j’ai quitté l’armée j’ai réalisé qu’il y avait urgence. J’ai commencé à sensibiliser les citoyens sur les déchets plastiques. J’ai passé deux à trois ans à nettoyer sans même avoir de connaissance sur la dangerosité des déchets plastiques. J’avais une action vers les politiques et aussi vers le public.

En 2015, j’ai cru que cela allait enfin décoller. J’ai été décoré, fait chevalier de l’Ordre du Mérite National. C’était une priorité du gouvernement de Macky Sall. Une loi qui interdisait les sacs plastique à faible micronage a été votée. Ce n’était pas suffisant. J’ai continué à me battre. La loi actuelle va plus loin, elle interdit tous types de plastiques mais il n’y a pas de suivi. On attend toujours les décrets d’application.

BR: On vous connaît pour vos actions, mais aussi par votre tenue, très originale, qui marque les esprits, comment vous est venue l’idée de vous habiller comme cela ?

HP: Lorsque j’ai créé ce costume de « sniper » de plastique, les gens me prenaient pour un fou. J’ai connu une période difficile, mes amis m’abandonnaient, mes parents me regardaient d’un drôle d’air. J’avais commencé à aller voir des gens pour évoquer la pollution par le plastique, mais cela ne prenait pas. On parlait dans un salon, avec des gens bien habillés, on buvait le café, mais il ne se passait rien. Ma tenue a constitué un déclic pour ses gens. Lorsque j’arrive couvert de sachets plastiques, ça les fait réagir. Soudain, les personnes réalisent qu’en quelques minutes, sur une de nos plages, vous pouvez ramasser assez de plastique pour vous habiller des pieds à la tête.

BR: Quels effets ont vos campagnes de sensibilisation ?

HP: Il y a des améliorations et des rechutes. Si vous venez à Dakar, il n’y a plus de gobelets en plastique, les gens commencent à faire des efforts. Mais quand la Covid est arrivée, le ministère a autorisé les industries qui font des sachets d’eau de continuer leur travail*. A Dakar seulement, on jette 5 millions de sacs plastiques par jour. La loi a donné la possibilité que tout le monde soit conscient. Mais les lobbys s’opposent au décret d’application, cela traîne depuis 3 ans. Les industries continuent à produire des plastiques. Ca devient difficile.

Je ne suis pas seul à travailler sur le sujet. Il y a des organisations qui se battent pour fabriquer des sacs réutilisables, des gourdes. Nous souffrons du soutien et du manque de volonté des politiques. On a eu six ministres de l’environnement depuis 2012, mais on ne peut pas dire que les choses aient beaucoup évolué. Il y a aussi des gens qui ont intérêt à ce que rien ne change. J’ai reçu des menaces de mort, j’ai porté plainte, mais il ne s’est rien produit. J’ai été marabouté. J’ai été appelé par des gens qui m’offraient de l’argent pour arrêter de parler de ça. Je n’ai pas beaucoup de moyens pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille, mais j’ai refusé leurs offres.

On ne peut pas laisser la population vivre avec ce poison qui est en train de nous tuer. Le plastique se retrouve dans les océans, dans les poissons, il cause de la souffrance chez les animaux marins, on en voit des manifestations tous les jours, demandez aux pécheurs ! Même nos chèvres et nos moutons mangent du plastique dans nos décharges! Le problème de l’environnement ici, c’est que ce n’est pas une priorité. Certains médias du Sénégal ne traitent même pas le sujet. Nous, comme activistes, nous n’avons pas d’autres solutions que de passer par les réseaux sociaux. Nous sommes fatigués de la pollution plastique.

Au mois de juin dernier j’ai marché de Dakar à Saint Louis pour sensibiliser la population. Les médias sénégalais n’ont pas rendu compte de ma démarche. Je continue, chaque samedi, avec mon organisation Sénégal Propre, à organiser des nettoyages de plages. Nous avons de très belles plages, appréciées des sénégalais et des touristes, toutes souillées par le plastique.

BR : Trouvez-vous que les mentalités ont changé depuis que vous avez commencé ?

HP : Oui et non. Au début c’était difficile, maintenant, il y a plusieurs organisations pour combattre ce fléau. Je suis intervenu à l’université la semaine dernière, les étudiants utilisent les bouteilles réutilisables. Mais on ne fait que déplacer le problème. Mon objectif est de trouver la solution durable. Je prône le système des 4 R : Réduire, Réutiliser, Recycler, ou même Refuser (le plastique). Il y a beaucoup de jeunes qui s’activent. Mais sans volonté politique, ça va être compliqué.

Les industries continuent à distribuer les sacs plastiques. Jusqu’à aujourd’hui aucun sénégalais ne paye de taxe sur les sacs plastiques. Le ministère de l’environnement donne les autorisations de faire rentrer le plastique au Sénégal. Sur 200 000 tonnes de déchets plastiques, seulement 9000 tonnes sont recyclées! Une partie est brûlée, le reste part dans les canalisations et finit dans l’océan. Certaines plages ne sont plus fréquentées à cause de la pollution plastique!

Lorsqu’on lui demande comment il voit son avenir, après vingt ans d’activisme et le constat que les avancées n’entament que médiocrement l’étendue du problème, il se laisse parfois aller au découragement. Il rêverait d’avoir un endroit à lui, pour recevoir le public et continuer à l’évangéliser sur nécessité de lutter contre ce fléau. Il voudrait aussi pouvoir trouver des fonds pour continuer son tour de sensibilisation du Sénégal vers le sud cette fois Il ne se voit par arrêter. Sans doute a-t’il fait sienne la phrase de Théodore Monod: “le peu qu’on peut faire, le très peu qu’on peut faire, il faut le faire pour l’honneur mais sans illusion”.

Parfois aussi, l’homme plastique est fatigué de sa croisade, il aimerait raccrocher, s’occuper de sa famille, car qu’a-t-il gagné de ces vingt ans passés à prêcher ? A cinquante ans, il ne veut pas que ses trois enfants lui reprochent d’avoir sacrifié leur bien-être à sa grande cause. Il ne gagne pas beaucoup d’argent, et craint que sa santé ne finisse par décliner.

*La population sénégalaise a doublé entre 1992 et 2021 ou elle était autour de 18 millions d’habitants

**Dans les pays où le revenu est très bas, les gens les plus pauvres n’ont pas les moyens d’acheter de l’eau purifiée en bouteilles, elle est alors vendue dans des petits sachets transparents par des vendeurs de rue. Ce sont les successeurs des porteurs d’eau qui se promenaient avec un bidon et des timbales autrefois

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