Des fillettes d’Afrique subsaharienne renoncent à l’école pour pouvoir parcourir chaque jour les vingt kilomètres nécessaires pour approvisionner leurs foyers en eau potable. Des paysans français creusent des méga-bassines prélevant de l’eau des nappes phréatiques en hiver pour pouvoir irriguer leurs cultures en été. Des malawites meurent du choléra, qui a fait sa réapparition en Afrique de l’est, après une saison de cyclones dévastateurs. Des élus indiens sont hospitalisés après avoir voulu ingérer de l’eau du Gange. Des familles californiennes perdent leurs maisons dans des coulées de boue causées par les pluies diluviennes succédant à une sécheresse historique. Quel est le point commun entre ces exemples piochés dans les actualités récentes ? L’eau, élément clé de la survie de l’humanité sur terre, ne coule plus de source.
Du 22 au 24 mars s’est tenue à New York, au siège des Nations Unies, la première conférence sur l’eau depuis 1977. Une occasion de faire le point sur les multiples implications d’une impasse mondiale.
Un problème universel
Le problème de l’eau n’est pas confiné aux zones désertiques mais concerne bien tous les habitants de la planète. Et l’imbrication des problématiques de l’eau, du climat et de la biodiversité ne fait que renforcer cette actualité. « Ceux qui ont un accès garanti à l’eau tendent vite à oublier à quel point elle est cruciale dans tous les aspects de la vie », commente une participante à la conférence. Les représentants des pays en développement témoignent des difficultés d’accès à cet élément aussi « vital que le sang » selon la formule d’Antonio Gutteres, secrétaire-général des Nations-Unies.
Un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande
En 2015, l’un des objectifs de développement durable (ODD) adoptés à la conférence de Paris était, à l’horizon 2030, l’accès de toute la population mondiale à l’eau potable. La réalisation de cet objectif est d’ores et déjà caduque. La demande globale en eau potable croît de 1% par an depuis 40 ans et continue à croître du fait de la croissance démographique et de l’urbanisation. Selon les prévisions de l’ONU, la demande en eau dans les agglomérations urbaines croîtra de 80% d’ici 2050.
Un amenuisement de la ressource
Avec le changement climatique, le problème s’accentue, les sécheresses deviennent plus fréquentes. Certaines prévisions donnent un excès de 40% de la demande en eau potable par rapport à la ressource disponible d’ici la fin de la décennie. Outre la question d’augmentation de la demande, se pose celle du traitement des eaux usées. 80% des eaux usées sont rejetées dans la nature sans être traitées. Ce gaspillage est déjà problématique mais se compose avec le risque sanitaire qu’il fait courir aux populations riveraines. Presqu’un tiers de l’humanité a accès à une eau contaminée et potentiellement porteuse de maladies. Et quasiment la moitié n’a pas accès à des toilettes décentes.
Le mouvement d’urbanisation accentue le problème, tout comme la surexploitation des nappes phréatiques pour les activités humaines, qu’il s’agisse des besoins de la vie quotidienne, de l’agriculture et de l’industrie. Certaines grandes villes ont connu ces dernières années des menaces de « Day Zero ». En avril 2018, la ville du Cap, en Afrique du Sud, a dû rationner drastiquement la fourniture d’eau pour éviter de ne plus pouvoir alimenter ses habitants en eau. Mais la menace est beaucoup plus diffuse que cela. En Europe occidentale, nous pensions que cela ne pouvait arriver qu’ailleurs, dans des pays moins développés ou moins tempérés. Les sécheresses des derniers étés ont fait de cette menace une réalité.
Nous sommes en situation de crise, ont martelé les participants des sessions officielles comme des sessions parallèles. Aucune zone de la planète n’est épargnée. Nous avons gaspillé la ressource en eau, partant du principe qu’elle était renouvelable à l’infini. Or les nappes souterraines s’épuisent. Une partie de nos lacs, fleuves et rivières est polluée. La recharge en eau est de moins en moins assurée avec des régimes hydrologiques qui se modifient.
La bonne nouvelle c’est que des technologies peuvent aider à affiner la gestion de la ressource. « Gouverner, c’est prévoir » dit l’adage. Des programmes comme celui du satellite SWOT du CNES lancé en décembre 2022, permet de mieux mesurer l’état des ressources en eau, de surface et souterraines. Les modèles météorologiques disponibles aident à cibler plus finement les événements extrêmes. Les technologies aident aussi à la mise en place des systèmes performants de traitement et de recyclage des eaux. C’est d’ailleurs l’option prise par la ville du Cap depuis 2015 qui s’est inspirée en partie de ce qui se fait à Windhoek, capitale de la Namibie, depuis plus de vingt ans. Les autorités ont joué sur plusieurs tableaux, en favorisant des zones d’infiltration des eaux de pluies dans les plaines, en mettant en place un tarif pénalisant les gros consommateurs, en améliorant le traitement des eaux usées pour irriguer les cultures ou les réinfiltrer, une fois assainies, dans les nappes phréatiques, et en ayant recours à la désalinisation pour pallier le remplissage plus aléatoire des réservoirs.
Le sujet de l’eau a régulièrement été évoqué dans l’enceinte des Nations Unies, mais souvent comme simple chapitre de conventions plus globales, sur le climat, ou la biodiversité. Cette fois-ci, il est au centre des débats. L’humanité est confrontée à une triple crise concernant l’eau et il est urgent de se doter d’une gouvernance globale qui permette de faire face aux défis présents et à venir sur le sujet. L’accès à l’eau n’est pas une question locale ou régionale, mais globale. Les ressources ne sont pas infinies et nous avons déjà entamé ses capacités de renouvellement, qui sont affectées par la modification du cycle de l’eau au niveau planétaire engendré par le réchauffement climatique. Des zones qui se croyaient à l’abri de la pénurie commencent aujourd’hui à être touchées, et pourraient l’être davantage à l’avenir.
La grand-messe onusienne a rempli l’objectif de faire comprendre et partager le diagnostic de la situation globale, de mettre en évidence les pratiques délétères. C’est déjà une bonne chose.
Peut-on espérer que cela débouche sur des actions concrètes ? Les organisateurs envisagent un indispensable pacte global de l’eau, un traité qui serait légalement valide sur la gouvernance mondiale de l’eau. Des pistes ont été ébauchées, pour envisager une gouvernance qui dépasse les limites géographiques actuelles par pays ou par bassin versant. Nous devons nous obliger à évaluer les pratiques humaines via leur empreinte « eau », comme nous mesurons désormais leur empreinte carbone. Cela nous permettra de nous doter de standards d’utilisation durable de l’eau et de sanctionner des utilisations excessives. Quand on voit les difficultés à faire appliquer l’accord de Paris sur le réchauffement climatique signé en 2015, on mesure le chemin à parcourir. Mais comme l’énonce le dicton : « il n’est pas nécessaire de réussir pour persévérer ! »
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