Comment réinventer une façon d’habiter des régions qui affrontent stress hydrique et réchauffement du climat ?

par | Mai 4, 2023 | Développement durable, Ecologie, Géographie, Histoire, Innovation | 0 commentaires

En Europe, on avait oublié le risque de pénurie d’eau, qu’on croyait cantonné aux autres continents, moins développés. Le changement climatique nous rappelle à une rude réalité et rend plus pressant l’enclenchement d’un changement de paradigme.

L’actualité météorologique de la fin avril a remis au goût du jour les interrogations sur la façon d’adapter des régions entières à des conditions qui les font s’apparenter de plus en plus à des déserts. Comme l’imaginent les scénarii pessimistes du GIEC, une partie du pourtour méditerranéen et de l’Europe du sud est confrontée à des hausses de températures précoces, après une année aux moyennes de températures supérieures celles généralement observée, alors que la recharge des aquifères ne s’est pas effectuée.

Au Portugal, en Espagne, dans le sud de la France, les interrogations sont vives. Le 27 avril, dans le centre du Portugal, certaines localités ont battu des records de température en atteignant, en journée des niveaux supérieurs à 36°, rarement observés en cette saison, alors que 10% du territoire était déjà en état de sécheresse. En Andalousie, notamment dans la vallée du Guadalquivir, la même semaine, les températures ont avoisiné les 40 degrés, après un des hivers les plus chauds jamais enregistrés. Le mois d’avril affiche 15° de plus que les moyennes constatées sur les années précédentes. Les risques d’incendie sont déjà élevés et les pompiers sont en alerte. Les météorologues ibériques mentionnent un risque de désertification de 76% du territoire espagnol. En France, dans les Pyrénées orientales et certaines zones du pourtour méditerranéen, notamment dans l’intérieur du Var, le manque de pluie pose l’épineuse question du manque récurrent d’eau. Le ministère de la transition écologique en France a encouragé, chose rarissime, des arrêtés préfectoraux dès le mois de février, pour restreindre l’utilisation de l’eau et tenter de modérer le problème.

On ne reviendra pas sur les causes climatiques de la situation de stress hydrique connue aujourd’hui par une grande partie des pays d’Europe du sud. Le déficit de pluie s’est accumulé avec la succession de plusieurs étés particulièrement secs suivis d’hivers où les précipitations n’ont pas atteint les niveaux habituels. Les anticyclones venus du nord du continent africain alors que las jours rallongent et que le temps se réchauffe, se stabilisent plus longtemps aux abords de la péninsule ibérique, d’où des températures équivalent à celles attendues généralement pour les mois de juillet ou d’août.

Dans l’immédiat, il serait illusoire de vouloir tabler sur des technologies de bio-ingénieurie pour faire tomber la pluie aux endroits où il en manque. Il devient impératif de soumettre nos usages de l’eau à un examen attentif et à changer de mode de fonctionnement sur certains aspects. Les usages agricoles font l’objet de pressions renouvelées, compte-tenu de la masse d’eau consommée pour produire. En Espagne notamment, qui s’est voulue potager et verger de l’Europe, les limites du modèle sont les plus évidentes. Les serres à perte de vue de la région d’Andalousie ponctionnent une eau dont le stock n’est désormais plus assuré.

Dans cette région comme en Catalogne, les retenues d’eau ne sont remplies qu’à 26% de leur capacité alors que l’été n’a pas encore commencé. La Catalogne entame son trente-deuxième mois de sécheresse. Les gouvernements locaux ont pris des restrictions sur l’arrosage des jardins, le lavage des voitures et le remplissage des piscines de particuliers, mais 80% de la consommation d’eau douce du pays va dans l’agriculture. La ville de Barcelone avait été confrontée en 2008 à une situation de pénurie d’eau qui lui a fait construire une usine de dessalement d’eau de mer sur l’embouchure du fleuve Llobregat, mais la production de cette dernière, en l’absence d’eau disponible par ailleurs pourrait être insuffisante d’ici l’automne. Un scénario de limitation de consommation des habitants est à l’étude et devient de plus en plus probable.

En France, l’agriculture représente aux alentours de 60% de la consommation d’eau potable, et la situation est très tendue dans certaines régions. Les incidents récents au sujet de la construction de mégabassines dans le département des Deux-Sèvres pompant de l’eau dans les nappes phréatiques l’hiver, en période de recharge, pour pouvoir irriguer l’été, montrent bien que la question de la transition du modèle d’une agriculture productiviste irrigant en fonction de ses besoins, à une agriculture adaptée à la disponibilité de la ressource en eau n’est pas une question simple à résoudre.

Pourtant, comment penser qu’il pourra en être autrement ? Et si la réinvention du monde agricole était la solution ? Sur le temps long, l’histoire agricole n’est-elle pas une histoire de constante adaptation, aux calamités naturelles ou historiques, aux guerres, aux évolutions démographiques ? L’accès illimité à l’eau et la rationalisation de la production agricole des années 1960-1970 ont produit de belles réussites et notamment l’accès à une alimentation variée abordable pour les populations européennes. Comme le disait Edgar Pisani, père de la politique agricole commune, lorsqu’une politique a réussi, c’est qu’elle a changé le monde pour lequel elle était édictée. Il faut donc en changer. Quel nouveau modèle dessiner avec les connaissances d’aujourd’hui, la prise de conscience des limites terriennes, et les contraintes fortes liées au réchauffement climatique ?

Le défi est important. Il est d’autant plus vital que le modèle d’urbanisation arrive aussi à sa limite. Il y a presque un an, de jeunes diplômés d’AgroParistech incitaient leurs condisciples à bifurquer. J’ai envie de recommander aux futurs diplômés de prendre plutôt le défi à bras le corps et de s’y investir. Réinventer la ville et la campagne, et les relations entre les deux, voilà qui pourrait inciter les jeunes générations à, non pas bouder les innovations technologiques, mais s’impliquer dans l’imagination d’un monde agricole qui sera la clé de l’avenir d’une humanité toujours plus nombreuse soumise à des conditions climatiques plus extrêmes.

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