Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie Saoudite, un défi vertigineux ?

par | Oct 13, 2022 | Non classé | 0 commentaires

Décidément, la campagne de communication sur NEOM, la ville futuriste née de l’élan visionnaire de Mohamed Ben Salman, souverain d’Arabie Saoudite, à l’horizon 2030, est superbement orchestrée. Elle a été couronnée, début octobre 2022, d’un coup d’éclat, sinon un coup de maître : l’annonce par le comité olympique asiatique du choix de Trojena, station de montagne de NEOM, comme cité organisatrice des jeux asiatiques d’hiver de 2029. Encore dans les cartons, la première station de ski d’Arabie Saoudite a désormais une échéance à tenir pour pouvoir héberger et accueillir les délégations participantes à la quinzaine d’épreuves prévues, sur des montagnes rocheuses qui culminent à 2600 mètres d’altitude, et dont les sommets sont enneigés, les bonnes années, jusqu’à une semaine.

Cette annonce a plutôt réjoui la presse locale, se félicitant de la décision du comité olympique régional, mais consterné l’opinion publique occidentale focalisée sur le réchauffement climatique et les effets délétères d’une construction de cette nature en plein désert. Il ne se passe pas un jour sans qu’une voix occidentale ne s’émeuve de cette initiative.

Ce n’est guère étonnant au vu des échos alarmants venant des associations de défense de l’environnement, et celles des droits de l’homme, qui font un parallèle avec les chantiers de la coupe du monde de football 2022 au Qatar, dont la construction et la transformation des infrastructures nécessaires à l’événement auraient causé, selon les ONG, la mort de milliers d’ouvriers du sous-continent indien, et dont le bilan carbone de stades en plein-air climatisés frise la démesure.

Trojena n’étant pas encore construite, il est trop tôt pour parler de bilan humain ou de bilan carbone. Les membres asiatiques du conseil olympique s’embarrassent peu de ce genre de détail. Le continent le plus peuplé du globe n’est pas le mieux pourvu en stations de sports d’hiver. Il n’est pas impossible que peu d’Etats aient eu envie de s’engager dans une organisation coûteuse. Bon point pour les saoudiens que cette considération ne freine pas. Quand on projette 500 milliards d’investissements pour une nouvelle agglomération dans le désert, l’édification d’une station de sports d’hiver même novatrice et disruptive, ne représente, après tout, qu’une poignée de figues.

Un tour sur le site de Trojena nous entraîne dans une série de films 3D marketant la future ville, vantant la vision de ses créateurs et ses caractéristiques inouïes. Les visuels sont, comme les autres projets de NEOM, très réussis, et évoquent une ambiance de décors de cinéma pouvant accueillir des remakes d’Avatar ou de la Guerre des Etoiles. « C’est la première fois qu’on crée une station de ski à partir de rien » déclare fièrement Philip Gullett, DG de Trojena qui n’a, apparemment, pas entendu parler des Arcs ou d’Avoriaz pour ne mentionner que des stations de ski françaises.



Ce qui va faire le succès de cette station inédite, nous explique-t-on sur le site, c’est son design unique, utilisant les technologies de pointe, sans être bridé par l’existant, et aussi l’effort mis sur le marketing de la station dès sa conception. L’accueil du site est digne d’un site de club de vacances de prestige, avec l’offre d’une palette d’activités, d’intérieur ou de plein air, pendant toute l’année. Celle-ci sera découpée en saisons « Bien-être, Hiver, Aventure, Lac », avec des offres différenciées, et même des festivals thématiques de renommée mondiale, déjà annoncés avant que la première pierre ne soit posée. Les six localisations différentes se partageront le pourtour d’un lac artificiel à créer de 3 kilomètres de long, à des altitudes supérieures à 1500 mètres. Jusque-là, rien qui ne distingue Trojena de ses sœurs The Line, dont nous avons parlé récemment, ou Oxagon, cité portuaire sur le golfe d’Aqaba. Pour la première fois dans la région du Golfe, on pourra faire du ski en plein air, fanfaronne le site. C’est vrai que pour les amateurs ayant fait leurs premières armes sous cloche à Dubaï, l’idée peut être tentante !

Les critiques qu’on peut entendre à ce stade sur le projet sont assez similaires à celles formulées pour les autres villes de NEOM. Il faut passer du rendu 3D à la réalisation, et cela peut se révéler plus problématique que ça en a l’air. L’histoire des sciences et techniques est truffée de projets mirobolants se fracassant sur l’autel de la réalité. Ce qui fonctionne « sur le papier » ou en version virtuelle modélisée, demande un certain nombre d’ajustements IRL. L’annonce des jeux d’hiver 2029 change la donne parce qu’elle impose une échéance proche, et des défis plus pressants.

Lorsqu’on parle d’organisation des jeux d’hiver, il ne s’agit pas d’utiliser quatre ou cinq pistes à l’enneigement artificiel, sur des montagnes où la température n’est pas forcément propice à l’établissement et l’entretien d’un manteau neigeux. Le site Internet de Trojena évoque des températures en moyenne dix degrés en dessous des températures moyennes constatées dans les villes de la région, soit, si l’on considère Aqaba, entre 0° et 11° en janvier au plus froid de l’hiver… Il s’agit de construire des parcours, des tremplins, des patinoires, des anneaux de glace qui ne figurent pas dans le projet initial. Le nerf des jeux, ce sont les infrastructures.

La topographie, la conformation des lieux, est déterminante. Une épreuve de descente à ski sur une pente de montagne à vache perdrait en intensité sportive. Il faut entre 800 et 1100 mètres de dénivellation pour l’épreuve de descente des hommes, et entre 500 et 800 mètres pour celle des femmes. Je suis loin d’être une spécialiste des sports d’hiver, mais il me semble que les cahiers des charges des sites où auront lieu les épreuves sont des contraintes importantes. Comment croire que les 30 kilomètres de pistes de ski prévus à Trojena seront suffisants pour accueillir les épreuves ? Quelles infrastructures supplémentaires les organisateurs devront-ils prévoir, alors que l’horizon temporel est très proche ? La topographie des montagnes locales se prête-t-elle au dessin de pistes de slalom ou de super G, à la création de tremplins de saut, de patinoires et j’en oublie probablement ?

L’optimisme reste de mise dans l’équipe de direction de Trojena. Le fait de partir d’une table rase est, selon Philip Gullett, un atout fantastique. On peut tout imaginer ! Il n’y a pas de neige, pas de problème, on en fabriquera ! Le lac artificiel de 3 kilomètres de long et de 170 mètres de profondeur permettra de fournir en eau les canons à neige en hiver, et à de plan d’eau aux régates en été. Le fait qu’il faille des quantités d’énergie (renouvelables nous jure-t-on) pour dessaler la quantité d’eau suffisante pour maintenir le lac en eau, qu’il faille faire parcourir à l’eau dessalée cinquante kilomètres d’une chaîne montagneuse et s’élever de 1,5 kilomètres ne paraît pas gêner les prétentions à une minimisation de l’empreinte carbone du projet.
Après tout, les jeux olympiques d’hiver de Pékin se sont tenus sur des pistes à l’enneigement artificiel ! Et comme le proclame fièrement le site, le projet prévoit, en respectant les règles de l’écotourisme, de ne développer que 57 km2 sur les 1400 km2 que compte la chaîne de montagne. Le respect de la nature est total !

“Ne baisse pas les bras, tu risquerais de le faire deux secondes avant le miracle » dit un proverbe arabe sûrement inscrit au-dessus du baby-foot de la salle de brainstorming des employés de NEOM. Pour l’édification des masses, ce serait bien que des ethnologues ou des sociologues soient conviés aux réunions de projet pour comprendre comment les défis logistiques de ce pari démesuré seront appréhendés et résolus. Il y aurait énormément de leçons à en tirer sur l’hubris humain et ses conséquences !

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