L’Afrique, nouvel Eldorado des énergies renouvelables?

par | Sep 13, 2023 | Développement durable, Energie renouvelable, Géographie | 0 commentaires

Du 4 au 6 septembre 2023 s’est tenu à Nairobi, capitale du Kenya, le sommet africain sur le climat. L’objectif était de donner au continent une position commune pour aborder la COP 28 (prévue à partir du 28 novembre prochain à Dubaï). Les participants se sont mis d’accord pour parler d’une seule voix et de confier la parole au président Ruto. Le contenu de la déclaration de Nairobi, qui a donné lieu à de longues tractations, a montré l’importance accordée au sujet sur le continent africain. Les chefs d’Etat de celui-ci, par la voix du président Ruto, veulent réfuter l’image de victimes du réchauffement climatique qui leur est trop souvent acollée, et se réclamer du côté des solutions.

« Transformer l’économie africaine grâce à la croissance verte est le moyen le plus juste, le plus efficace et le plus réalisable d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » a déclaré le président kényan William Ruto en clôture du sommet. L’objectif affiché est de quintupler, d’ici le milieu du siècle, la production d’énergie renouvelable du continent.

Qu’est-ce qu’une croissance verte? Alors que dans les pays développés on réfléchit sur l’opportunité de la décroissance, les habitants du continent africain ne peuvent renoncer à croître économiquement, ne serait-ce que pour répondre à une dynamique démographique positive : la population du continent devrait doubler d’ici 2050. Si les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique sont mondiaux, ils se déclinent de façon différenciée sur les continents et se posent de façon aigüe en Afrique qui ne représente que 4% des émissions de gaz à effet de serre (OCDE) pour presque 20% de la population mondiale.

Peut-on envisager une croissance verte sur le continent africain, en se basant uniquement sur les énergies renouvelables? Le potentiel photovoltaïque du continent ne représente-t’il pas 40% de l’indice de potentiel solaire mondial (Global Solar Atlas) avec six pays africains dans les vingt présentant le plus haut potentiel au niveau mondial, pour seulement 1,4% de la puissance mondiale installée? Les Pays Bas ont une puissance installée deux fois supérieure à celle du continent africain, pourtant bien mieux doté en potentiel solaire. Avec sa large zone intertropicale, au régime de vents constant, le potentiel éolien permettrait à lui seul de fournir la demande actuelle du continent en électricité. Et ce, sans compter les ressources hydroélectrique ou géothermique…

Compte-tenu de l’urgence climatique, l’accès à une énergie 100% renouvelable pour un continent dont le développement économique et démographique implique une demande énergétique accrue, n’est-ce pas la voie royale? Quoi de plus évident que de construire directement des méga-centrales solaires ou des fermes d’éoliennes géantes pour relier les 600 millions d’africains qui n’ont toujours pas l’électricité, et renforcer un tissu industriel balbutiant? Pourrait-on éviter aux africains le passage par les énergies fossiles du reste du monde industrialisé, responsable du réchauffement climatique d’origine anthropique? C’est ce que veulent croire certaines études publiées dans des revues scientifiques. Pourtant, l’affaire semble plus compliquée.

Le Breakthrough Institute vient de publier une note sur le sujet de la croissance verte en Afrique, et notamment au sujet des études modélisant la faisabilité d’un développement du continent africain via un mix à 100% d’énergies renouvelables (solaire et éolien). La seule certitude, qui s’en dégage, c’est que l’intérêt des solutions 100% ER n’est pas suffisamment établi. Le rédacteur y critique les bases méthodologiques des articles concluant à la faisabilité, à moindre coût, d’une telle transition énergétique en Afrique, économisant ainsi au continent (et à la planète) le passage par une croissance carbonée via les énergies fossiles. Il met en évidence plusieurs biais qui peuvent inciter à plus de modération quant aux appels à passer directement aux énergies-renouvelables.

La majorité des articles arrivant à cette conclusion utilise un même modèle qui fonctionne sur des hypothèses irréalistes en termes de coûts. Qu’il s’agisse des coûts d’installation ou des coûts de capitaux – pour investir dans les ER – leurs hypothèses sont très basses, identiques aux coûts constatés dans des pays développés. Par ailleurs, les modèles font fi des coûts relatifs à la mise au niveau des réseaux de distribution d’énergie, des additions en termes d’infrastructures (de distribution, de stockage et de système de limitation de déperdition de l’énergie produite). Si ces coûts peuvent être réduits dans des pays développés, avec des réseaux matures, ils ne sont en aucun cas négligeables pour des systèmes chroniquement sous-dimensionnés. Plusieurs omissions de ce type, et notamment la prise en compte de nécessaires alternatives en cas d’aléas météorologiques, manque de vent ou d’ensoleillement, euphémisent les coûts réels de la mise en place . L’estimation de la demande en énergie des pays dont la population croit est également ridiculement basse, à environ un dixième de la consommation d’un habitant des Etats-Unis ou d’Australie à l’horizon 2050, alors que l’AIEA prévoit une croissance de 30% de la demande en électricité sur le continent africain pour la décennie 2020-2030.

D’autres critiques de la notion de la notion de « croissance verte » insistent sur la nécessité de s’assurer que cette croissance se fait au profit des populations africaines, et qu’elle permette au plus grand nombre de sortir de la pauvreté. Empêcher le continent africain de s’industrialiser au prétexte d’atténuer un problème créé dans une autre partie du monde est totalement inaudible.

Dans quelle mesure la croissance verte, annoncée par le président Ruto, pourra-t’elle se passer des énergies fossiles, ou d’un mix intégrant nucléaire, énergies fossiles et énergies renouvelables? Alors que des ONG et Think Tanks militent pour le maintien des réserves fossiles dans le sol, est-il possible de demander aux pays africains qui disposent de ressources exploitables de se priver de leur apport? Vue du Kenya, la croissance verte est à portée de main. Le pays fonctionne à 90% avec de l’énergie renouvelable provenant de la géothermie, développée de longue date, de l’hydraulique, du solaire et de l’éolien. Mais les besoins ne sont pas couverts et, pour un pays très endetté, construire de nouvelles centrales n’est pas évident. Les projets de construction de futures centrales géothermiques buttent sur des difficultés de financement. Tous les pays du continents ne sont pas dotés d’un potentiel équivalent en énergie renouvelables. Douze pays sur les 54 possèdent des réserves d’énergie fossile exploitables. Quatorze pays, comprenant le Kenya et l’Ethiopie auraient, un potentiel géothermique intéressant.

Mais le potentiel doit se réaliser, et le coût d’accès peut-être rédhibitoire, et comprendre parfois des investissements en infrastructures connexes qui compromettent le passage du plan à la concrétisation. Si l’ensoleillement exceptionnel du nord du Sahara a fait rêver de transition énergétique en Algérie, le capotage constant des différentes versions du projet Desertech montre qu’au-delà du potentiel, la matérialité des investissements, et un certain nombre d’enjeux politiques, économiques etc. entravent bien des exploitations.

« Les énergies renouvelables pourraient être le miracle africain » selon le président Ruto. Il fait bien de souligner également dans sa déclaration que tout se jouera dans l’accès aux financements et aux investissements. Les promesses des Emirats Arabes Unis et de l’Union Européenne sont un premier pas, mais la dynamique engagée sera-t-elle suffisante ? Réponse durant la COP28!

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