Prendre le temps de (le) penser correctement…

par | Juil 31, 2023 | Philosophie | 0 commentaires

C’est sur cette question très philosophique que se clôture une année bien remplie pour RLDH. La coupure estivale n’est-elle pas le moment idéal pour prendre conscience de notre rapport au temps – devrais-je dire de la multiplicité de nos rapports au temps – et à comprendre comment celui-ci conditionne notre vision du monde?

Chacun sent bien que, sous ses allures familières et son innocence, (le temps) n’est pas une chose comme les autres, et qu’on n’en finira jamais de l’interroger. Saurions-nous seulement définir le temps autrement que par des métaphores de lui-même ?

Etienne Klein

Le temps est une notion très polysémique. Seul le temps physique est une unité mesurable qui ne porte pas à confusion dit en substance le physicien Etienne Klein, les autres sont toutes sujettes à caution. Si l’on part du temps comme expérience individuelle, il n’y a pas non plus de définition qui ne soit pas ambivalente. La difficulté de penser le temps, c’est que nous le vivons, en tant qu’individus, à la fois comme durée et simultanéité, dans l’instant et dans l’écoulement. Certaines civilisations se sont construites sur un temps cyclique, et d’autres sur un temps linéaire. Les générations humaines vivent dans des temporalités différentes. Les enfants sont résolument dans le présent, ce qui explique leur difficultés à accepter les gratifications différées, les adolescents détestent le présent et sont tournés vers l’avenir, les adultes avançant en âge regardent de plus en plus vers le passé.

En termes de dérèglement climatique, c’est acté. « Nous n’avons plus le temps ! » nous martèlent, en boucle, les informations. Tous les jours, nous sommes abreuvés de notre lot de catastrophes. Chaque incendie, orage, inondation, tornade nous rappelle que nous subissons les conséquences d’un réchauffement climatique d’origine anthropique qui s’intensifie. L’urgence est le maître mot. « Notre monde brûle » a déclaré le président Chirac à Johannesbourg, pour le dixième anniversaire du sommet de la terre de Rio, dans un discours qui avait fait grande impression. “Notre monde brûle et nous regardons ailleurs”. C’était en 2002. Vingt et un ans plus tard, il brûle encore, et nous sommes toujours englués dans un présent dystopique. Tout se passe comme si le temps s’était arrêté sur la catastrophe climatique.

Alors que l’on s’interroge sur la difficulté d’engager des actions à la hauteur des défis, comment faire pour que cet “état d’urgence climatique” ne soit pas vécu comme inexorable? Comment redéployer le temps pour qu’au-delà du présent on puisse envisager des solutions pour lesquelles il ne soit pas déjà trop tard?

L’historien François Hartog a inventé le mot de présentisme pour caractériser l’attitude vis-à-vis du temps qui consiste à ne plus vivre que la seule temporalité du présent en ignorant tout de ce qui l’a précédée et en ne parvenant pas non plus à se projeter dans un futur autre que proche. Il distingue, dans l’histoire européenne, plusieurs périodes, caractérisées par des rapports au temps très différents. Jusqu’aux Lumières, c’est le passé antique qui sert de référentiel, et d’étalon sur lequel caler le fonctionnement des sociétés. A partir de la fin du XVIIIème siècle, avec l’avènement des Lumières et le développement des sciences et techniques, apparaît la notion de progrès. Les sociétés occidentales se tournent vers le futur. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous vivons une succession de crises qui nous engluent dans le présent. Le présentisme est renforcé par l’adoption progressive d’outils de gouvernance qui forcent à mesurer les performances des actions politiques, des investissements ou des stratégies d’entreprise, en se focalisant sur le très court terme.

La focalisation sur le présent et la perspective de l’arrivée imminente à des points de bascule interdit de penser des solutions à plus long terme. La mise en place de la fission nucléaire, l’industrialisation des techniques de capture/stockage de carbone, la diversification des carburants durables, paraissent à des horizons trop lointains.

Nous oublions que l’humanité est un accident récent dans l’histoire de l’univers et de notre planète. La terre existe depuis 4,55 milliards d’années, les débuts de l’humanité datent de l’Holocène il y a 12 000 ans, avec des conditions climatiques permettant les migrations des populations humaines vers le nord de la planète, auparavant inhabitable. L’ anthropocène, ère définie par la capacité de l’humanité de transformer entièrement la vie de la planète, date de la révolution industrielle, avec une accélération depuis 1950.

Comment résoudre cette “discordance des temps” : géologique, physique, physiologique, psychologique, politique, bureaucratique… Ne faudrait-il pas inventer un nouveau langage, une nouvelle grammaire des temporalités?

Vous avez un mois. On se retrouve à la rentrée?

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