Les discours alarmistes sont-ils la meilleure stratégie pour mobiliser sur le réchauffement climatique? Le cas El Niño

par | Juin 27, 2023 | Développement durable, Ecologie | 0 commentaires

A moins d’avoir passé les dernières semaines dans un sous-marin, vous avez sans doute entendu ou lu la nouvelle. Cela faisait des mois que les autorités météorologiques mondiales en annonçaient la probable venue, mais les mesures de températures de surface de l’océan Pacifique au niveau de l’équateur ne laissent plus de doute. Depuis le 8 juin 2023, El Niño, l’enfant terrible de l’oscillation sud-pacifique (aussi appelé ENSO : El Niño Southern Oscillation), perturbe le climat de la zone Pacifique, provoquant des remous dont les effets vont se faire sentir sur une grande partie du globe.

Cette information, largement anticipée puisque son éventualité était évoquée depuis le mois de février, a été reprise à l’envi, sur les chaînes d’information en continu, les radios, la presse quotidienne, sur un mode catastrophiste. Le phénomène El Niño s’accompagne de températures de surface de l’eau de la partie du Pacifique autour de l’équateur, supérieures à la moyenne, et cause un changement de sens des alizés, et une humidification accrue des masses d’air sur la zone, modifiant les régimes de précipitation… Les médias ont multiplié les titres accrocheurs. Le site scientifique Futura évoque la possibilité d’un “super El Niño” dès cet été provoquant des températures étouffantes et une sécheresse exceptionnelle en Australie. France Info titre sur des prévisions de “températures record” cet été, l’Express évoque un “été de tous les dangers”, et le site Météo Contact, la menace sur le monde que ferait peser le super El Niño. Europe 1 affirme que ce phénomène “inquiète” les climatologues. Les sites et publications font assaut de formulations anxiogènes. Il est vrai que l’organisation mondiale de la météorologie avait préparé le terrain en mai en déclarant que, le retour d’El Niño laissait présager que les températures globales des cinq prochaines années seraient supérieures à +1,5° degrés par rapport à l’ère pré-industrielle.

Pourtant, El Niño n’a rien d’une nouveauté. C’est un phénomène récurrent qui alterne, tous les trois à sept ans avec La Niña, épisode où les températures de surface du Pacifique équatorial sont plus basses et exercent sur les températures globales une tendance baissière. Chaque décennie depuis 1950 connaît un épisode dit de “super El Niño”. Pourquoi, dans ces conditions, ces titres alarmistes des médias et sites d’information? Pourquoi ne relayer que les effets péjoratifs des communiqués de l’OMM plutôt que d’évoquer aussi les réalités moins spectaculaires mais tout aussi importantes? D’autant que ENSO fait l’objet depuis des années d’un blog de vulgarisation très documenté, rédigé par des scientifiques, qui suit ses facéties et n’hésite pas à casser quelques mythes. Faire défiler quelques articles -très sérieux- de cette publication en ligne permet de prendre un recul bienvenu. Ainsi les rédactrices n’hésitent pas à rappeler que toute prévision n’est pas gravée dans le marbre, comparant El Niño à un barman non fiable et que le caractère catastrophique dépend du point de vue.

Les relayeurs auraient pu s’intéresser à la façon dont les différentes zones affectées par les précédents épisodes, ont commencé à mettre en place une résilience aux évènements météorologiques provoqués par EL Niño, et selon cet article, il n’est pas acquis qu’il y ait plus de catastrophes climatiques les années El Niño que les autres. Encore une fois, c’est une question de point de vue et de situation géographique. Le sud-ouest des Etats-Unis, qui voit accroître ses précipitations hivernales, voit également la perspective de meilleures récoltes agricoles, et de remplissage de ses aquifères. N’aurait-il pas été intéressant de démonter les idées reçues qui se déversent et sont d’autant plus reprises qu’elles correspondent aux angoisses – justifiées – du moment sur les conséquences néfastes pour la planète et pour l’humanité, du réchauffement climatique d’origine anthropique ?

Les publications auraient pu revenir sur les diverses solutions mises en place, des fermes de coraux près de la Grande Barrière de Corail pour remplacer ceux souffrant de blanchiment suite au réchauffement des eaux de surface, à l’installation de stations d’observation météo permettant de mieux surveiller le trait de côte et de prévoir localement les pluies torrentielles et inondations pour alerter les populations des îles particulièrement vulnérables.

N’y a-t’il pas un risque à insister uniquement sur des conséquences catastrophiques vagues pour une grande partie de la planète, au risque d’alimenter la défiance? Est-ce qu’on ne rate pas un des objectifs de cette information qui est d’aider les gens à organiser une résilience nécessaire face aux évènements climatiques? Et si on arrêtait d’essayer de susciter les réactions négatives du public? Si on essayait plutôt de lui donner, via l’information, les moyens d’agir? N’y-a-t’il pas un risque qu’à force d’annoncer des mauvaises nouvelles, on finisse par paralyser l’opinion, la réduisant à un rôle de spectatrice sidérée, regardant se développer un scénario catastrophe plutôt que d’imaginer des solutions et forcer les gouvernants à oeuvrer pour leur mise en oeuvre?

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