L’extraction de carbone, une solution viable pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre?

par | Juin 13, 2023 | Développement durable, Energie renouvelable, Innovation, Science | 0 commentaires

 Il n’y a pas d’autre alternative que de développer des techniques de capture/séquestration du CO2  a déclaré en substance, dans une vidéo pré-enregistrée, Bill Gates, clôturant de la journée de conférences Climeworks sur la capture de CO2 dans l’air (Direct Air Capture) à Zurich mardi 6 juin 2023.

La journée, sur le modèle des grand-messes de la tech, avait pour but de faire le point sur l’avancée des techniques et de convaincre le plus grand nombre de leur bien-fondé. C’était également, pour les organisateurs, un moyen de prospecter de nouveaux investisseurs et de nouveaux clients, et persuader les représentants de la société civile, des pouvoirs publics de la nécessité de les aider à se développer. Chercheurs, ingénieurs, représentants de parties prenantes, d’ONG se sont succédé pour présenter leur point de vue sur ces techniques, leur intérêt et leurs failles. Pendant les allocutions et les tables-rondes, les discours ont été consensuels et les oppositions modérées. Plusieurs messages sont revenus tout au long de la journée.

Le premier message c’est l’absolue nécessité de capter le CO2. Compte-tenu de la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre, l’objectif de limiter le réchauffement global à +2% en 2050, via zéro émission nette de CO2 est impossible à entrevoir sans techniques d’extraction du dioxyde de carbone. Jusqu’ à présent le rôle de puits de carbone est essentiellement dévolu aux forêts, aux prairies et aux océans. Le reste du carbone émis demeure dans l’atmosphère pour des milliers d’année. La différence entre le carbone émis et le carbone absorbé s’ajoute donc au carbone déjà présent et augmente la concentration de carbone dans l’atmosphère, aggravant le réchauffement climatique. Le stock de CO2 dans l’atmosphère a massivement augmenté depuis les années 1950. Chaque année où nous émettons plus de dioxyde de carbone que nos puits de carbone naturels n’en absorbent, cet excédent augmente notre stock. La reforestation joue un rôle, mais elle n’est pas suffisante.

C’est là que les techniques de captage/séquestration du carbone prennent leur sens. Plusieurs pistes sont explorées. Les fondateurs de Climeworks travaillent depuis des années, comme d’autres acteurs, à une extraction directement de l’air grâce à des ventilateurs géants. Les molécules de CO2 isolées sont ensuite stockées sous terre pour Climeworks, mais certains autres acteurs proposent de les injecter dans du béton ou autres matériaux. Depuis 2021, Climeworks opère en Islande la plus grande unité de capture/stockage de carbone au monde.

La présentation de Jan Wurzbacher, l’un des co-inventeurs, a souligné la difficulté de l’innovation, et les écueils auxquels ils ont été confrontés en passant de la modélisation 3D à la réalité de terrain. La première année d’exploitation en Islande, implantation choisie parce que ce pays a accès à une énergie géothermique donc verte, des possibilités de refroidissement naturel, et des sites (sous terre) où réinjecter le carbone, a été émaillée par de ces petits accrocs créés par des corrosions de pièces, des joints à l’étanchéité défectueuse, des boulons et autres éléments ne fonctionnant pas comme espéré. Des tempêtes de neige plus fortes et abondantes que prévu ont aussi impacté les rendements. Ce lieu commun connu de tous les sociologues des techniques s’est réalisé en grandeur nature.

Le second message est que ces techniques ne peuvent pas constituer la solution miracle à l’augmentation du stock de CO2 dans l’atmosphère, mais font partie d’un panel de solutions plus large, dans lequel il faut inclure la réduction des émissions de GES, la reforestation etc. Il n’y a pas de formule magique pour extraire le CO2, et les quantités à extraire sont telles – ne serait-ce que pour atteindre zéro émission de CO2, il faudrait réussir à extraire de l’ordre de 40 gigatonnes (soit 40 milliards de tonnes !) par an, une gageure.

La mise au point et la construction de ces usines d’extraction va demander du temps et des investissements conséquents. Sur le territoire états-unien, le Green Deal de l’administration Biden est une bonne nouvelle pour eux, et la construction de plusieurs unités est planifiée. Ailleurs, il leur faut convaincre, trouver les investisseurs et surtout les lieux. Une usine de captage/séquestration de CO2 est un énorme paquebot, nécessitant une énergie abondante et verte (sinon on rajoute au problème), et des lieux sécurisés de séquestration du carbone. Il y a des arbitrages à faire entre les différentes solutions et les inconvénients qui vont avec. La localisation de ces méga-usines n’est pas le moindre des sujets.

Le troisième message, c’est la nécessité de contrôler et de mesurer les résultats des différentes solutions. Les intervenants ont pointé l’importance d’avoir des techniques robustes de mesure, de contrôle et de vérification de l’efficacité des différents moyens d’extraire et de séquestrer le dioxyde de carbone. Parmi toutes les offres complaisamment mises sur les marchés, certaines prétentions de séquestration de carbone sont assez fantaisistes et une normalisation des mesures pourrait permettre de mieux évaluer les apports des unes et des autres. C’est un moyen de contrôler l’offre mais aussi de rechercher des pistes d’amélioration. Cette standardisation et ce contrôle doivent être effectués par des organisations indépendantes pour éviter les conflits d’intérêt.

Le dernier message que j’ai retenu, c’est celui de la climatologue Katharine Hayhoe qui s’exprimait dans une vidéo. Cette climatologue travaille sur la communication à propos du réchauffement climatique et la meilleure façon d’embarquer le maximum de parties prenantes dans une université texane, c’est dire si elle est au cœur d’une société qui n’envisage pas facilement l’abandon des énergies fossiles. Elle a insisté sur le constat qu’il n’y aura pas dans le futur de remède miracle au réchauffement climatique. Pour autant, nous pouvons/devons agir à plusieurs niveaux. Le premier pas, c’est d’arrêter de balancer du carbone dans l’atmosphère. Il faut inciter nos gouvernements à abandonner les énergies fossiles, et adopter les techniques de captage/séquestration du carbone. Nous devons pour cela embarquer le maximum de personnes. Nous ne réussirons pas à convaincre le maximum de monde en antagonisant les positions. Il ne faut pas culpabiliser, désigner des boucs émissaires, mais fédérer, en acceptant que tout le monde ne sera pas aligné, mais que chaque pas dans la bonne direction compte.

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