Surcharge informationnelle, perceptions contradictoires, comment informer correctement sur le réchauffement climatique?

par | Juil 11, 2023 | Développement durable, Ecologie, Science | 0 commentaires

“T’y crois toi à cette idée de réchauffement climatique? Moi honnêtement je pense que c’est de la foutaise!” c’est ainsi qu’une de mes connaissances, pourtant éduquée, m’exprimait un franc déni du réchauffement climatique. “Cette histoire de températures record en juin, c’est anecdotique. Et puis les températures au-delà des quarante degrés dans le sud-ouest américain, ça n’est pas vraiment une nouveauté! Je suis allée dans l’Arizona il y a dix ans, c’était déjà le cas” me déclara une de mes relations, croisée dans la rue la semaine dernière, alors que je lui parlais de ce blog. “Je ne crois pas au réchauffement de +4 degrés” ont répondu certaines personnes sollicitées pour envisager le scénario demandé en mars par le ministre de l’environnement. Comment expliquer la persistance de telles réticences?

Il ne se passe pas un jour sans qu’un organe d’information ne publie un article inquiétant sur le réchauffement climatique, et le renforcement des hypothèses de dépassement des objectifs des accords de Paris (+ 2 degrés en 2050). La loi française “portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience à ses effets”, adoptée à l’été 2021, également appelée Loi climat et résilience, a entériné la nécessité de mieux informer nos concitoyens sur les conséquences du réchauffement climatique en imposant, notamment, aux écoles de sensibiliser les élèves au développement durable, et aux entreprises à intégrer dans la publicité des éléments sur les conséquences pour le climat de certaines productions polluantes.

Les rapports du GIEC confirment l’un après l’autre l’urgence climatique, incitant les journaux à étoffer leur section environnement. France Télévisions a mis en place un journal météo climat depuis le mois de mars 2023. Celui-ci, diffusé à la fin du journal de 20h00, mais aussi sur France 3 et France TV, s’ajoute à la météo du jour. Pour celles et ceux qui utilisent téléphone, tablette ou ordinateur pour consulter les informations, les algorithmes des grands fournisseurs d’accès ou des réseaux sociaux se chargent de les exposer à une série d’informations similaires glanés dans la presse quotidienne régionale, les sites d’information, ou les chaines de télévision en continu. Difficile d’échapper au dérèglement climatique, à moins de refuser systématiquement de lire le moindre article sur le sujet.

Il y a une opposition complotiste au narratif sur le climat averse à tout raisonnement. Cependant toutes les oppositions ne sont pas l’effet d’antagonistes dogmatiques. Il peut y avoir plusieurs rationalités aux réactions de rejet du discours sur le réchauffement climatique. Le nouveau numéro du Breakthrough Journal, publication en ligne du laboratoire d’idées du même nom, relève dans ses articles plusieurs objections scientifiques aux narratifs du GIEC. Il nous faut admettre aussi qu’il y a des choses que la science ne peut pas dire à propos du changement climatique écrit ainsi Patrick Brown. On peut s’accorder sur le fait qu’il y a un réchauffement climatique, que les bases physiques en sont scientifiquement validées, et que ce réchauffement est dû aux activités humaines et à la consommation effrénée de combustibles fossiles nécessaire à une société industrialisée. Pour autant, les propositions de solutions des derniers rapports et leur mode de preuve n’est pas du même régime scientifique que celui des parties sur la validation des constats physiques. Beaucoup s’appuient sur des modèles de prévision qui, par nature, sont probabilistes, et concernent des aspects parcellaires d’un phénomène complexe composé d’une multitude de paramètres. Sur les modèles météorologiques, comme l’écrit un spécialiste de la science des fluides, la capacité actuelle de nos supercalculateurs n’est pas à même de comprendre finement ni de prévoir certains phénomènes météorologiques de turbulences autrement que sur un maillage géographique assez grossier. La menace de l’approche de points de basculement climatiques au-delà desquels le climat s’emballerait inexorablement s’éloigne à mesure qu’on se rapproche des échéances brandies, comme, il y a de cela quelques années lorsque la ville de Cape Town calculait et annonçait l’avènement de son “Day Zero” à partir duquel l’approvisionnement en eau ne serait plus assuré par les barrages habituels. Par ailleurs, à mesure que la science progresse, l’influence de certains point de basculement identifiés peut être modulée par de nouvelles études, certains ont disparu des listes.

Au-delà des objections scientifiques à certains points du discours sur le dérèglement climatique, on trouve des raisons plus psychologiques. Certains individus développent une fatigue informationnelle qui devient d’autant plus irréelle qu’elle se heurte à des phénomènes vécus contradictoires. Le mois de juin pluvieux et plus frais a fait oublier la sécheresse du printemps dernier. Il est toujours plus compliqué de croire en une hausse des températures globales lorsque, localement, on expérimente l’inverse. Que signifient les journées d’été avec les températures les plus élevées dans le monde pour celle ou celui qui prend le frais dans son jardin encore vert? Les excès de précipitation des moussons en Inde du Nord ont peu de chance d’entamer le scepticisme des habitants des régions tempérées épargnées.

Le déni peut surgir comme un mécanisme de défense devant des informations anxiogènes, sur les conséquences desquelles on peut regretter de n’avoir que peu de poids. On se ferme à une information que l’on n’a pas les moyens de gérer, émotionnellement et pratiquement. L’information est d’autant plus difficile à gérer, que la changement climatique est ce qu’un analyste appelle un “hyperobjet” qui comporte de multiples dimensions, difficiles à appréhender ensemble. Nos outils perceptifs ne nous permettent qu’imparfaitement d’en prendre la mesure, de trouver des analogies qui fonctionnent, des narratifs similaires. Comment concevoir à la fois que le réchauffement climatique menace les récoltes habituelles, mais que cette année les perspectives sont excellentes pour les céréaliers de France? Comment croire à la fin du monde annoncée lorsque les franchissements de “points de bascule” proclamés n’ont pas de conséquences immédiatement perceptibles?

L’intensification de la communication sur un phénomène qui devrait tous nous concerner renforce à la fois la mobilisation de certains et la défiance des autres devant une surcharge informationnelle. Ne serait-il pas judicieux de mieux doser les informations potentiellement anxiogènes? Répéter tous les jours depuis une semaine qu’on connaît le xième jour le plus chaud pour cette période alors que l’expérience sensible d’une partie des gens correspond à une expérience normale des journées d’été ne risque-t’elle pas de créer un retour de bâton? Plutôt que d’essayer de convaincre à 100% les sceptiques, ne serait-il pas souhaitable de les mobiliser, plutôt que de les antagoniser?

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