Alain Bernard, notre fondateur, s’est rendu fin mars à Timimoun, en Algérie, à l’invitation de l’organisateur du « sommet des oasis », le docteur Mohammed Bouchentouf. Nous lui avons demandé ses impressions.
AB : J’étais très intéressé de découvrir Timimoun, une immense palmeraie, à mi-chemin entre Alger et Tamanrasset, et les défis du développement d’une zone, celle du grand Erg Occidental, soumise à des conditions désertiques très contraintes.
B : Quel était l’objectif du sommet des oasis ?
AB : Le sommet des oasis a réuni des experts algériens et étrangers, principalement des chercheurs en agronomie, des podologues, mais aussi quelques électrons libres comme moi. Il s’est focalisé sur les solutions possibles pour, comme le préconisent les rapports de l’UNCCD, maintenir la biodiversité, la capacité des sols à nourrir et à offrir des débouchés aux populations locales, et freiner un exode vers les métropoles congestionnées d’un continent qui n’a cessé de s’urbaniser au cours des cinquante dernières années.
B : Quelles ont été vos premières impressions en arrivant à Timimoun ?
AB : J’ai été frappé par l’austérité des lieux. Je n’avais jamais visité de cité oasienne. J’ai été touché par les traces du savoir oasien qui perdurent, tout en menaçant de disparaître, et l’ampleur des défis pour développer des activités pérennes prenant en compte les besoins des populations. Les autorités algériennes, représentées par le Walli, semblent très conscientes des enjeux. Comment proposer un avenir sur place à une population qui a beaucoup augmenté à partir des années 1950, mais qui est aujourd’hui en train de se contracter ? C’est une question qui n’offre pas de réponse immédiate. Quelle forme urbaine continuer à développer ? Autour de quelles activités ? Timimoun, chef-lieu du Gourara, est une ville de 41 000 habitants. C’était à l’origine une oasis qui en comptait à peine quelques milliers, dont l’activité principale était l’exploitation de la palmeraie. A partir des années 50, et après l’indépendance, toute une activité administrative s’est installée, avec une tertiarisation de l’économie aujourd’hui en perte de vitesse, et un exode des habitants au cours des deux dernières décennies.
B : Pensez-vous raisonnable d’envisager de rebasculer sur une économie basée de nouveau sur l’exploitation agricole ?
AB : Tout à fait, la restauration et le développement de cultures oasiennes durables s’inscrit dans les objectifs de l’UNCCD d’atténuation du changement climatique, qui préconise des opérations de restauration des terres et en prône des cultures plus respectueuses de la qualité des sols. L’agriculture oasienne, issue de traditions millénaires, est un exemple remarquable d’une agriculture en étages priorisant la sauvegarde des ressources en eau, et préservant, voire améliorant la qualité des sols. C’est l’exact inverse des exemples de cultures importées sur le continent africain, basées sur une exploitation non durable des nappes phréatiques et le recours massif aux intrants chimiques.
B : Cependant, de la théorie à la pratique, il y a toujours un pas. Peut-on redynamiser une culture oasienne qui a commencé à se perdre ?
AB : Oui, c’est une bonne question. Il faut pouvoir trouver des arguments pour persuader les gens de rester sur place, et de perpétuer cette culture oasienne. Il faut leur donner les moyens économiques de le faire. Il y a déjà des bases portées dans l’initiative du docteur Bouchentouf, liée au lycée agricole de Timimoun, qui fait la promotion d’une agroforesterie oasienne, en se basant sur les connaissances agronomiques les plus pointues. Leur objectif est de préserver et d’améliorer les sols. Pour cela, diversifier les cultures est un excellent point de départ. Il faut également trouver un autre système de répartition pérenne de l’eau. L’équation n’est pas simple.
B : Vous semblez penser que ce n’est pas évident ?
AB : Je vois mal comment ils pourraient se passer sans une implication et un soutien via des subventions assez importantes des autorités. Il y a tout un système à mettre en place derrière pour garantir un revenu convenable aux exploitants qui ne soit pas, dans les premiers temps, totalement dépendant du prix de vente de la datte. Recréer ou réhabiliter une palmeraie est un travail à long terme. Cela demande une planification et des investissements. On parle de la culture de la datte comme base de l’économie, mais c’est une culture très sensible. L’équilibre d’une palmeraie est très délicat. C’est une culture qui ne peut être extensive. Il faut polliniser à la main les inflorescences femelles. Les cultures supplémentaires, à l’ombre des dattiers permettent aux familles de vivre, et restaurent les sols. Il faut prendre le temps de recréer la culture en étages sous les palmeraies restaurées.
Au-delà des techniques agricoles, compte-tenu de la raréfaction de l’eau et du risque d’épuisement des nappes phréatiques, il faut en profiter pour repenser le système d’irrigation dont les principes de répartition n’ont pas évolué depuis que les foggaras ont été remplacés par des forages… La beauté du système des foggaras, c’est qu’elles ne délivraient que la quantité d’eau pouvant être délivrée. On ne peut plus revenir au système des foggaras et à la culture oasienne des temps anciens. Les choses ont évolué. Avec les forages, la nappe souterraine a été trop sollicitée par des gens qui n’ont pas l’habitude de payer pour cette ressource d’autant plus rare qu’on est au milieu du désert.
Il faut créer un nouveau système d’attribution de l’eau qui soit juste, tout en faisant payer l’eau à des gens qui ont des revenus faibles. On pourrait lier les subventions accordées aux agriculteurs à des quotas d’eau, ou défalquer des subventions allouées, la consommation d’eau ce qui les obligera à rationaliser leur pratique. Du côté des autorités, cela induit de mettre en place des compteurs d’eau et des relevés réguliers, qui pourraient être effectués par satellite, en même temps que le monitorage de la nappe, pour adapter la consommation d’eau au niveau des réserves.
Ce sont des défis conséquents à relever, mais qui pourraient donner à des cités oasiennes comme Timimoun, des rôles importants et précurseurs de modèles d’atténuation des effets du réchauffement climatique, et de lutte contre la désertification.
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