Les vignes du désert d’Atacama

par | Oct 3, 2022 | botanique, Développement durable, Ecologie, Géographie, Innovation | 1 commentaire

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Je suis sûre que, comme moi, vous aimez les belles et édifiantes histoires qui vous donnent foi en l’avenir. Des histoires de succès étonnants, de résilience inattendue, de victoire sur l’adversité. Récemment, une de ces histoires a suscité une floraison d’articles de presse et de billets sur des sites d’information en ligne. Elle évoquait un aspect peu connu du désert d’Atacama. Savez-vous que deux vins chiliens primés internationalement proviennent des coteaux de ce désert ? Comment ne pas vibrer à la découverte de ces vignobles improbables, poussant sur les flancs de montagnes aux paysages lunaires, à des altitudes où très peu de végétation résiste au stress ?

L’histoire est si belle qu’elle a été reprise à l’envi.  Les sites Internet européens sur les vignobles d’Atacama se sont multipliés l’été dernier (60 000 références en tapant « vignobles Atacama » dans le moteur de recherche de Google). Si la réputation des vins chiliens n’est plus à faire, le fait qu’une petite quantité des exportations viticoles du pays vienne des franges d’Atacama, l’un des déserts les plus emblématiques d’Amérique du Sud, a de quoi faire couler de l’encre. La source, en est un article du 23 mai 2022 de la rubrique climat et environnement du quotidien espagnol El País, traduit ensuite pour Courrier International, et repris allègrement.

Au Nord du Chili, à une altitude de 3600 mètres d’altitude, on cultive de la vigne depuis le seizième siècle, écrit la journaliste. Cette vigne sert à produire un vin très particulier, avec un goût prononcé, du fait des conditions extrêmes dans lesquelles les raisins se développent. Les photos montrent des parcelles vertes sur des versants de montagne pelés, adoucissant l’aspect lunaire des paysages. L’agricultrice interviewée, une autochtone de la région, a commencé par des cultures plus traditionnelles dans la région, l’alfalfa (fourrage pour le bétail), et le maïs denrée de base pour les humains, jusqu’à ce qu’un organisme agronomique financé par une société locale lui propose de rentrer dans un programme de plantation de vignoble. Les responsables du programme lui ont fourni les ceps et les explications techniques, des cours sur l’entretien et l’irrigation de ses vignes pour réussir cette culture exigeante. Seul dix-huit des cinquante producteurs enrôlés dans le programme ont finalement réussi à développer leur vigne. Les plantes sont soumises à un stress intense : elles manquent d’oxygène du fait de l’altitude, elles souffrent de la sécheresse -les pieds sont arrosés par inondation, une fois par semaine- elles supportent un rayonnement solaire important, et doivent composer avec l’amplitude des variations de température entre le jour et la nuit. La culture en haute altitude s’apparente à un exploit. Mais cet exploit est enfin régulier et la production de raisin augmente, tout comme celle de vin par la coopérative Ayllú, créée pour l’occasion. D’où une campagne de communication planétaire pour promouvoir, à la fois le produit de la vigne, et la destination touristique.

J’aime beaucoup cette histoire. Cependant, je suis un peu déroutée par le manque de perspective des récits, qui reprennent des éléments dignes de prospectus touristiques, sans évoquer l’histoire récente du Chili. Par ailleurs, comme on apprend au moins autant des échecs que des réussites, il aurait été intéressant (en tout cas pour l’article source) de comprendre pourquoi 32 agriculteurs sur les 50 enrôlés dans le programme n’ont pas réussi à développer leur vignoble.

Si la réponse à la dernière question est difficile à trouver, il suffit de fouiller un peu sur Internet pour trouver les éléments de contexte. Ce développement récent de la vigne résulte d’un redéploiement du paysage agricole du fait d’une priorité accordée aux activités minières, et des conséquences de la réforme agraire d’avant 1973.

La région d’Atacama, depuis le début du vingtième siècle, est dominée par l’extraction minière. Les besoins en eau colossaux de cette activité industrielle, ont déstabilisé l’agriculture traditionnelle. L’eau attribuée au secteur minéralier, qui en est un grand consommateur, l‘était au détriment des grandes exploitations agricoles extensives. D’autre part, la pollution afférente à l’activité industrielle a rendu des secteurs de la région inexploitables pour l’agriculture. L’agriculture des grandes fincas s’est essoufflée, et a cédé du terrain avec une urbanisation plus forte près des exploitations industrielles, et l’arrivée de populations attirées par les mines et leur potentiel d’emploi. La réforme agraire des années 60-70 avec le démembrement des grandes fincas, a sonné le glas de cette agriculture extensive. Laquelle a laissé la place à de la petite agriculture, menée par les populations autochtones. Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres régions du pays, le remembrement des propriétés agricoles n’a pas eu lieu après le coup d’Etat.

A partir des années 90, les autorités ont mis en place des actions de transformation de la petite agriculture, en proposant des programmes pilotés par des agronomes, permettant aux populations autochtones ne travaillant pas dans les mines, de pouvoir vivre de leurs cultures, comme le faisaient leurs ancêtres.

L’agronomie, via le choix de cépages résistants au stress, l’irrigation, l’ombrage pour abriter des rayonnements solaires, a permis de pérenniser une culture à valeur ajoutée, qui se décline en plus dans les propositions de tourisme œnologique développées durant les dernières décennies au Chili. Les brésiliens seraient des clients enthousiastes de ce tourisme des vignobles. Prenant exemple sur les grands pays viticoles, le Chili promeut depuis quelques années les paysages culturels des vignes pour lesquels il a demandé un classement au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.  Le pays commercialise des circuits « routes des vins » incluant la visite des vignobles. Le désert d’Atacama, qui est une destination de choix pour sa beauté minérale naturelle, ajoute son activité viticole originale comme attraction supplémentaire.

Toute belle histoire mène à des enseignements. Il y a bien sûr un volet technique. Pourquoi et comment ces plants ont-ils réussi à résister, ont-ils développé des caractéristiques chimiques et biologiques particulières ? La réplication de ce type d’expérience peut permettre d’adapter d’autres types de plantes à l’agriculture des zones arides, où les conditions vont devenir, du fait du réchauffement climatique, de plus en plus stressantes. Les étés très chauds de la zone méditerranéennes menacent certaines vignes dont les cépages supportent de moins en moins le stress caniculaire. La compréhension des caractéristiques de ces vignes super-résilientes pourra aider à améliorer celles d’autres régions. Mais il y a aussi un volet plus humain. Les sociétés humaines et leurs activités ne sont pas figées. Tout comme ces plans de vignes sur les contreforts de la Cordillère des Andes, elles peuvent s’adapter aux conditions les plus extrêmes, en reconfigurant leurs priorités, en trouvant des nouveaux alliés, et en mobilisant de nouveaux savoirs.

1 Commentaire

  1. Châu

    Bravo Bénédicte pour cet article ! L’industrie viticole est sur le qui-vive après cet été brûlant et très sec. L’exemple des vignes du Neguev est un autre exemple de résilience et d’innovation… A lire dans les Echos du 04/10/2022…

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