L’inauguration sans fanfare de Nusantara…

par | Août 5, 2024 | Développement durable, Géographie, Transport, Urbanisme | 0 commentaires

Cela aurait dû être un triomphe, la dernière action d’éclat d’un président passant la main à son successeur, ce sera une petite cérémonie symbolique. Nusantara, future capitale de l’Indonésie n’est pas prête et son administration attendra avant d’ officialiser le déménagement.
Que faire lorsque vous avez une capitale, héritée de l’époque coloniale, qui cumule des handicaps de plus en plus nombreux, et qui s’enfonce sous l’eau ? A plusieurs reprises depuis l’accession de leur pays à l’indépendance en 1945, les dirigeants indonésiens qui avaient rebaptisé Djakarta, l’ancienne capitale des Indes néerlandaises, ont sursis à la réponse. Jusqu’à ce qu’en août 2019, le président Joko Widodo décide de déménager la partie administrative de la capitale à 1400 kilomètres de son site actuel, sur l’île de Bornéo, dans la province du Kalimatan Est.
La nouvelle ville, qui doit s’étendre sur un site de 2600 km2, et accueillir 1,9 millions d’habitants en 2045, a pour projet d’être un modèle de ville-forêt écologique, faisant la part belle à la nature, neutre en carbone à l’horizon 2045, traçant le prototype pour des entités urbaines du vingt-et-unième siècle. Il faut dire que Djakarta, la capitale en sursis, a cumulé les handicaps.
Djakarta est le moteur économique de l’Indonésie et sa ville la plus peuplée. L’archipel indonésien est l’un des pays au monde qui reçoit le plus d’eau sous la forme de pluie. Soumis à un régime de mousson, la constitution volcanique de l’archipel fait que les pluies dévalent volontiers les pentes. L’agglomération de Djakarta, qui compte aujourd’hui trente millions d’habitants a été complètement imperméabilisée par l’urbanisation.
Le taux d’imperméabilisation des sols est passé de 40,9% en 1976 à presque 97% en 2020. Par ailleurs le modèle de développement, calqué sur d’autres métropoles asiatiques : imperméabilisation des sols, pompage excessif des nappes souterraines et construction verticales en béton, verre et acier, a pesé sur les sols qui s’affaissent et 40% de la surface de la ville est désormais sous le niveau de la mer. On en arrive à cette situation paradoxale où il pleut surabondamment sur Djakarta mais ces pluies ne rechargent pas les nappes phréatiques du fait de l’imperméabilisation des sols. Les autorités font appel, de plus en plus régulièrement, aux techniques d’ensemencement de nuages pour dévier la pluie des zones inondées et pouvoir faciliter le travail des secours après des catastrophes.
A l ‘aube de son second (et dernier mandat) Joko Widodo, a donc tout fait pour inscrire à son bilan le déménagement de la capitale sur une autre île ce qui permettait de déconcentrer les pouvoirs, de dissocier capitale économique et capitale politique, et de profiter d’un espace suffisant pour construire sans avoir à gérer l’existant. Nusantara doit être inaugurée le 17 août prochain, pour les 79 ans de l’indépendance indonésienne, mais cette inauguration n’aura pas l’éclat escompté. Les cérémonies d’inauguration le 17 août seront réduites, et le gros des célébrations officielles de la fête de l’indépendance aura lieu à Djakarta. Les ambitions de Jokowi étaient immenses, mais la réalisation a péché.
Le délai de quatre ans pour construire et aménager la cité administrative était déjà une gageure. Dès le mois de février 2024, les médias ont annoncé que le déménagement des fonctionnaires allait prendre plus de temps que prévu. Une première salve de 1500 fonctionnaires doit s’installer juste avant l’inauguration, rejointe par une dizaine de milliers en septembre, alors que leur déménagement initial avait été programmé pour le mois de mars. Le président Widodo dort depuis la semaine dernière dans un palais présidentiel en forme de Garuda, où les ouvriers continuent à s’activer, mais, assure-t’il, l’eau et l’électricité sont déjà raccordées. Les fonctionnaires interrogés par le Strait Times ne marquent pas d’enthousiasme à la perspective du déménagement. S’ils éviteront la pollution, les inondations et les embouteillages de Djakarta, les conditions d’accueil spartiates et le fait que le Kalimatan soit en zone impaludée sont des facteurs qui ne les rassurent pas totalement.
Comme pour tout projet de cette envergure, les imprévus n’ont pas manqué. Le président s’est heurté à un problème de financement. Seulement 20% des 35 milliards de dollars nécessaires doivent venir du budget de l’état indonésien, pour la construction de la cité administrative. Et les partenaires privés ne se bousculent pas au portillon. Les grands groupes locaux sont attentistes, et les investissements étrangers se font attendre malgré les tournées promotionnelles chez des puissances amies : Chine, Singapour, Arabie Saoudite, Qatar…
Le projet de ville-forêt est séduisant sur le papier. Il prévoit de consacrer 65% de la ville à une forêt tropicale restaurée, d’imiter la nature en limitant la taille des constructions à douze étages, en encourageant les transports en commun et les énergies renouvelables. Les bâtiments végétalisés, doivent être orientés selon les éléments pour minimiser les besoins en climatisation et la consommation d’énergie. Les déplacements se feront via des navettes électriques… et le projet évoque même des avions-taxis écologiques !
Les deux principaux dirigeants de l’autorité responsable du projet ont démissionné début juin et ont été aussitôt remplacés. La météo a été incriminée avec des délais causés par des pluies diluviennes exceptionnelles de cette année. La saison des pluies, qui dure six mois a été exceptionnellement arrosée. Il a fallu recourir à l’ensemencement de nuages pour dévier les pluies de la zone de construction. Certains experts citent également au Straits Times, le quotidien de Singapour, le manque de planification et de concertation en amont du projet qui auraient entraîné des retards. Les problèmes de cession de droits sur les terrains sont évidemment nombreux, pour certaines zones, qui ont servi pour des activités minières, il faut décontaminer avant de construire, bref, comme le dit la maxime, l’art est long, et le temps est court…

Plus de 10% de la population mondiale vit dans des zones littorales et est menacée, à terme, de submersion. Il n’y a pas de réponse simple à cette menace. Construire des modèles de résilience des villes existantes ou imaginer des villes nouvelles, quelle est la meilleure stratégie? Des expériences comme celles-ci sont à observer en détail. Mais comme le soulignait l’un des rapports du GIEC consacré aux solutions possibles, on ne pourra pas reloger les centaines de millions d’habitants des métropoles menacées de submersion dans des villes nouvelles…

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