Longtemps, nous1 nous sommes couchés de bonne heure. Ce n’était pas forcément un choix, mais une nécessité. La course du soleil réglait notre activité, et, les sources de lumière, comme de chaleur, étant peu nombreuses et chères, nous n’avions pas la tentation d’en abuser. L’agriculture occupait une grande partie de l’humanité. Nous nous levions et nous couchions comme les poules que nous élevions pour leurs oeufs et pour en mettre une au pot tous les dimanches selon la volonté du bon roi Henri le quatrième pour lequel Paris valait bien une messe.
Nos rythmes de vie ont longtemps été dictés par l’ensoleillement et les saisons, nous menions des existences brutales, frugales et brèves jusqu’à ce que l’on découvre les vertus de la vapeur. Les machines à vapeur, développées à partir du dix-huitième siècle, se chauffant au charbon nous permirent des gains de productivité qui accélérèrent la différentiation de nos existences. L’agriculture, l’artisanat et le commerce se virent concurrencer par l’industrie pour l’occupation des humains, et les révolutions industrielles tout au long du dix-neuvième siècle transformèrent durablement les sociétés européennes et américaines, remodelant dans le même mouvement une grande partie du reste du monde.
Les humains du monde se développant s’affranchirent des rythmes traditionnels, l’éclairage des villes au gaz permis de continuer de vivre la nuit. Le passage du charbon au pétrole engendra de nouveaux sauts de productivité qui donnèrent naissance au monde contemporain (et à ses guerres mondiales, mais c’est une autre histoire). Malgré les sursauts politiques majeurs du vingtième siècle, la population mondiale a beaucoup augmenté et aspire à la prospérité, ou du moins à un mode de vie non contraint par la seule nécessité. La demande d’énergie, conséquemment, n’a cessé de croître. Elle est devenue un problème au vingt-et-unième siècle.
La reconnaissance des bouleversements climatiques survenus depuis la seconde révolution industrielle, acté lors de l’adoption de l’accord de Paris sur le Climat en 2015, a entraîné une prise de conscience de l’effet néfaste des gaz à effet de serre (GES) dont les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) sont les principaux responsables. Préserver une terre vivable demande d’agir pour décarboner nos sources d’énergie et protéger notre climat. Les conférences internationales sur le climat nous rappellent régulièrement cette nécessité, même lorsque ces réunions se tiennent dans des monarchies pétrolières.
Un certain nombre de pays a commencé a enclencher le changement. Sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis ont mis en place un « green new deal » pour encourager la transition vers des énergies renouvelables, ce qui a conduit à une augmentation notable de la production d’énergie solaire et éolienne. La Chine, premier producteur mondial de panneaux solaires, a fortement augmenté son recours à l’énergie solaire tout en continuant à ouvrir les centrales à charbon. Le Brésil est un des champions mondiaux des énergies renouvelables : une grande partie des besoins énergétiques est couverte par l’énergie hydraulique, avec une augmentation notable du solaire et de l’éolien. En Europe, plusieurs pays sont désormais bien équipés en énergie solaire et éolienne. Les pays bordant la mer du Nord exploitent le potentiel éolien en construisant des parcs éoliens flottants. Cependant, à mesure que les capacités en énergies renouvelables augmentent, de nouveaux problèmes apparaissent. La question cruciale du stockage et de la redistribution des excédents d’énergie devient plus complexe. Comment faire face aux périodes où le soleil et le vent ne sont pas au rendez-vous ? Pour l’instant, ce sont des centrales à gaz ou à charbon qui assurent le relais, ou des centrales nucléaires lorsque les pays disposent de la technologie. Les premières sont émettrices de GES, les secondes posent des problèmes de stockage des déchets radioactifs des centrales, qui peuvent être contaminants pendant des siècles.
Certains écologistes prônent la décroissance. Mais soyons réalistes, cela n’arrivera pas. La moindre hausse de prix des carburants fait gronder les foules. Retourner aux modes de vie traditionnels de nos aïeux semble improbable, sauf en cas de catastrophes majeures, imaginées à l’envi par des scénaristes de science-fiction. Les populations actuelles ne sont prêtes à accepter des mesures de réduction des gaz à effet de serre que si elles ne bouleversent pas trop leurs aspirations. Chez RLDH, nous sommes convaincus que ce sont les innovations technologiques qui permettront de concilier nos modes de vie modernes avec la nécessité de préserver notre planète. Quelles innovations technologiques? telle est la question.
Dans une vidéo récente du Breakthrough Institute, le présentateur évoque différentes pistes vers une énergie décarbonée. Les énergies renouvelables, hydraulique, solaire ou éolienne, ne suffiront pas à répondre à une demande énergétique promise à doubler d’ici 2100 si l’on ne se dote pas de capacités de stockage à moyen et long terme de l’énergie excédentaire pour la redistribuer en période de faible production. Les batteries au lithium pourraient répondre partiellement à ce besoin de stockage, mais elles sont coûteuses et ne conviennent que pour des durées limitées. La plus grosse usine de batteries TESLA au Nevada, nous dit le présentateur, produit annuellement de quoi stocker l’équivalent de 3 mn de la consommation électrique des Etats-Unis d’Amérique. En supposant qu’il n’y ait pas de problème d’approvisionnement en matière première, il faudrait construire combien de centaines de milliers d’usine de cette capacité pour obtenir une capacité de stockage suffisant? Le calcul donne le vertige.
Le présentateur mise plutôt sur le développement de la fusion nucléaire2, une solution plus flexible et acceptable que la fission, bien que des défis techniques subsistent et ne seront pas levés dans un horizon temporel très proche. La mise en place de centrales solaires dans l’espace, bénéficiant donc des radiations solaires en permanence, pourrait aussi être envisagée, mais là encore, les problèmes techniques, même s’ils ne semblent pas insurmontables, ne sont pas résolus. Ces solutions techniques à grande échelle portent des promesses, mais vont demander des investissements lourds, pour des résultats encore incertains, à une échelle de temps indéterminée. D’où l’importance de repenser le problème selon de nouveau critères?
Ne serait-il pas préférable de développer des solutions low-tech, localement pertinentes, durables et économiques ? Plutôt que de chercher des solutions universelles, pourquoi ne pas explorer des approches mieux adaptées aux besoins locaux ? C’est l’angle choisi par Roger Harrabin, dans un numéro récent du New Scientist, où il met en lumière des technologies de stockage en cours d’expérimentation. Il privilégie les solutions qui utilisent des techniques et des matériaux simples, souvent ignorées par les médias qui leur préfèrent les solutions high-tech. Une centrale solaire dans l’espace, cela a un côté plus glamour qu’un silo en béton où une cage d’ascenseur géante dans un puits de mine.
Parmi les techniques répertoriées dans l’article, on trouve les batteries gravitaires, les batteries aux sels fondus et le stockage de chaleur, testées au Royaume-Uni. Le puits de gravité, par exemple, réutilise d’anciens puits de mine pour stocker l’énergie en soulevant des poids de 25 tonnes qui redescendent pour produire de l’électricité. Une autre entreprise développe des batteries à sels fondus, basées sur des matériaux faciles à trouver et ne produisant pas de déchets polluants. Un prototype en Californie pourrait restituer plus de 90 % de l’énergie stockée après trois mois. D’autres sociétés travaillent sur le stockage de chaleur dans des briques, reliées à des usines ou des systèmes de chauffage urbain, qui peuvent restituer l’énergie sous forme de chaleur ou de vapeur pour produire de l’électricité.
Ces techniques, bien que nécessitant des tests à plus grande échelle, sont simples à mettre en œuvre et relativement peu coûteuses par rapport aux piles au lithium. Cependant, leur réalisation n’est pas sans défis. Cela nécessite un changement de mentalité chez les financeurs, passant d’une solution universelle à une recherche locale de solutions adaptées plus économiques et moins spectaculaires, et le financement d’expérimentations qui ne mèneront pas toujours à un déploiement à grande échelle. Et pourtant, leur horizon de déploiement est moins incertain, parce dépendant de facteurs plus locaux que, par exemple, la mise en place d’un nouveau traité de l’espace international, le développement de fusion atomique en continu…
La recherche de solutions techniques universelles est séduisante intellectuellement avec la promesse de résoudre, une fois pour toutes, les problèmes liés aux énergies intermittentes. Le présentateur du Breakthrough Institute reconnaît cependant qu’elle ne répond pas à l’urgence des besoins, et que la question de la gestion de la mise en réseau des différentes ressources est des plus complexes. Les solutions low-tech3 présentées dans l’article d’Harrabin ne représentent-elles pas des alternatives intéressantes déployables rapidement? Ne sont-elles pas plus justes dans le sens où elle pourraient indifféremment être mises en place dans des pays ayant des niveaux de développement très disparates et en fonction des ressources disponibles localement ?
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