Cette semaine sort le dernier ouvrage de Jeremy Rifkin, essayiste étatsunien renommé, spécialiste de la prospective, consulté et acclamé par nombre de décideurs mondiaux. Toujours en avance sur son temps, ce qui est heureux quand on fait de la prospective, Jeremy Rifkin est un environnementaliste convaincu depuis les années 1970, quand il participait à de nombreuses batailles contre les énergies fossiles. Dès 1988 il alertait les décideurs mondiaux sur les risques de réchauffement climatique. Après avoir théorisé, entre autres, sur la fin du travail en 1996, sur l’économie de l’hydrogène en 2002, la troisième révolution industrielle en 2012, la nouvelle donne verte en 2019, le revoici en 2024 avec Planète Aqua, un ouvrage qui invite ses lecteurs à changer de perspective sur notre planète, et d’y reconsidérer la place centrale de l’eau.
Chez RLDH, nous avons régulièrement écrit sur l’importance de l’eau1 et c’est donc avec curiosité que nous avons visionné la conférence de presse pour les journalistes suisses donnée par l’auteur à l’occasion de la sortie mondiale de son nouvel ouvrage.
Rifkin est rompu à l’exercice, chaque sortie d”ouvrage est un événement mondial. Ses conférences payantes font salle comble un peu partout dans le monde. Les journalistes paresseux n’hésitent pas à évoquer des ouvrages “qui feront date”. Sa communication est claire, efficace, éloquente, l’auteur est un habitué des formules choc. Sur différentes étagères de la bibliothèque de son bureau à Washington il a fait savamment disposer des exemplaires de son tout dernier opus. Après trois révolutions industrielles : celle du charbon au XIXème siècle, celle du pétrole au XXème siècle, et celle de la communication au début du XXIème siècle avec l’avènement d’Internet, nous assène Rifkin, notre monde vit actuellement une nouvelle révolution énergétique avec le développement exponentiel des énergies solaires et éoliennes et une révolution des mobilités avec les voitures électriques… Il ne reste plus qu’une dernière révolution à enclencher claironne-t’il : celle de l’eau. Notre système de gestion de l’eau part en cacahouète2. Or, il est primordial de s’en préoccuper pour l’avenir de la planète.
Vue de l’espace, la planète terre n’est pas verte mais bleue, c’est bien l’eau et non la terre, l’élément prédominant sur le globe. C’est donc une révolution3 bleue qu’il nous faut enclencher. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, nous n’allons pas manquer d’eau, mais sa répartition doit être repensée. Le capital originel de la terre, c’est l’eau et la photosynthèse ! Il faut passer du capitalisme – tellement old school! – à l’hydro-ism! On ne peut plus distribuer l’eau par de grands ouvrages centralisés, comme les grands barrages du vingtième siècle. Rifkin cite comme exemple la retenue de Glen Canyon qui a permis le développement des états du sud-ouest des Etats-Unis. L’avenir est, comme pour les énergies renouvelables, les micro-grids locaux de distribution.
Nous devons changer notre façon de voir les choses. Cela passe par les totems rifkiniens : abandonner le culte de la croissance pour celui de l’épanouissement, passer du culte de la productivité à celui de la regénération, du PIB à des indices de la qualité de la vie, des externalités négatives à l’économie circulaire, de la géopolitique à la politique de la biosphère. La révolution à engager est systémique. Les frontières géopolitiques n’ont plus de sens. L’eau doit être considérée comme un commun qui ne peut être ni pillée ni accaparée. Comment ne pas être d’accord? Nous devons tout repenser à partir des écosystèmes locaux pour faire de notre planète la planète Aqua. Adieu la planète Terre. Sans eau il n’y a pas de vie. Nous devons « écouter l’hydrosphère », donner des droits aux rivières et aux cours d’eau, leur permettre de s’écouler à leur guise, de se porter devant les tribunaux.
Rifkin, je l’ai dit, a le sens de la formule, il fait souvent mouche, il vend de la révolution comme on vendrait des tapis. Qui pourrait nier le problème global avec l’eau ? Nous n’avons pas cessé d’en faire écho dans ce blog. Le diagnostic, en tout cas sur les points principaux est partagé : il va falloir faire mieux. Mais à part l’idée de la décentralisation et de la distribution au niveau local des écosystèmes, Rifkin ne donne pas plus de précisions sur la manière de se saisir du sujet. J’ai trouvé un peu agaçante la focalisation presque exclusive de Rifkin, en tout cas pour sa conférence de presse, sur des pays de l’hémisphère nord : Europe, Chine, USA… Comme si le reste du monde le « sud global » n’était pas aussi confronté à ce problème et s’il ne pouvait pas y avoir localement des initiatives intéressantes, une façon spécifique d’envisager les problèmes ou des exemples à méditer. Quand Rifkin parle du barrage des Trois Gorges comme le dernier grand projet hydraulique, que pense t’il des projets sur le Nil en amont d’Assouan qui posent des tensions politiques entre Ethiopie, Soudan et Egypte… Lorsque qu’il balaye d’un revers de main le nucléaire qu’il considère comme de l’histoire ancienne et pense pouvoir tout résoudre avec le solaire et l’éolien, cela paraît également un peu léger. Quid des problèmes liés à l’intermittence des productions d’énergie renouvelables. Le stockage et la distribution des excédents éventuels de production pour les périodes où le soleil ne brille pas et ou, manque de chance, il n’y a pas de vent non plus ne me semblent pas encore totalement résolus, ou alors j’ai raté un épisode. Les glocally distributed networks (des réseaux des distribution d’eau distribués glocalement (pensés globalement/ mis en place localement) cela sonne bien, mais qu’est-ce que cela recouvre ? Comment ça fonctionne exactement ?
Soit Rifkin n’en a pas dit assez, soit il ne développe pas un propos foncièrement inédit ou original dans son bouquin…
Bref, vous l’aurez sans doute deviné, la présentation de Rifkin m’a laissé sur ma soif, et ne m’a pas appris grand chose. Planète Aqua risque t’il le syndrome du robinet d’eau tiède? Je ne me mouillerais pas sur le sujet, et vous laisserai en juger…
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