Prenons en de la graine! Ou comment une mauvaise herbe fait plier les géants de l’agrochimie mondiale…

par | Déc 19, 2023 | botanique, Développement durable, Ecologie, Innovation | 0 commentaires

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais à cette période de fin d’année, alors que les jours raccourcissent et que les bonnes nouvelles se font attendre, j’ai envie d’une histoire édifiante, d’une histoire de résistance, d’une histoire qui me dise que tout n’est pas joué, que malgré l’imminence de la catastrophe annoncée, la nature a encore plus d’un tour dans son sac. L’héroïne de l’histoire que je vais vous compter aujourd’hui se nomme Amarante. On la croirait sortie d’une pièce de Molière, mais ses origines se retracent plutôt du côté des Amériques. Elle descend, dit-on, des céréales indigènes que les natifs cultivaient avant la colonisation, et, tombée en désaffection à mesure que s’implantaient d’autres cultures, elle a disparu jusqu’à ce qu’une de ses descendantes devienne la Némésis des planteurs de maïs et de coton dans le sud des Etats-Unis, et des cultivateurs de soja des grandes plaines argentines, mais aussi du Brésil et de la Chine.

L’Amarante de Palmer, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est depuis 2006, l’ennemie publique numéro un de tout un système agricole développé autour des semences génétiquement modifiées résistantes aux herbicides. La promesse de cette agriculture développée à la fin des années 1990, promue par les semenciers producteurs d’OGM et les fabricants de pesticides – dont le plus connu est le RoundUp© – était de simplifier le travail des agriculteurs en les focalisant sur des monocultures, à partir de semences génétiquement modifiées résistantes au glyphosate, que l’on protège des adventices en les aspergeant copieusement de cet herbicide. Les premières années, les récoltes furent miraculeuses, mais au bout d’une décennie, le doute commença à poindre.

Amarante réussit à développer une résistance auxdits herbicides et à rentrer en concurrence avec les cultures que ceux-ci devaient supposément protéger. Depuis 1996, sur des millions d’hectares, ces semences miracles (« Roundup© Ready ») étaient plantés en rang, comme de bons petits soldats, et protégées par de l’épandage par avion dudit herbicide. Dix ans plus tard, toutes les autres adventices avaient disparu, la seule à résister était cette damnée herbe à cochons – pigweed de son nom anglais – pas intimidée par les tactiques des grands des industries chimique et semencière. Il faut dire qu’Amarante de Palmer, n’est pas une herbe commune. Egalement appelée saboteuse de récolte, désignée ennemie numéro un de la société des sciences des mauvaises herbes (Weed Science Society of America) en 2017, Amarante de Palmer agace autant qu’elle fascine par sa capacité à déjouer les pièges qui lui sont tendus.

Outre sa résistance aux plus utilisés des herbicides. Elle croît à une vitesse impressionnante, jusqu’à 6,6 cm par jour. Elle peut mesurer autour de 2 m à maturité, sur une touffe d’à peu près autant de diamètre. Les fleurs sur lesquelles se développent les graines mesurent jusqu’à 60 cm, et envoient entre 300 000 et 1 million de graines par plante femelle. Les plants mâles peuvent envoyer leur pollen à des centaines de mètres, le pollen transportant les gènes de résistance aux herbicides et féconder des amarantes non résistantes et même par fécondation de cousines éloignées comme le chanvre d’eau… L’impact potentiel d’Amarante, une fois qu’elle est implantée et en compétition pour les nutriments, l’espace et la lumière avec les plantations agricoles, peut aller jusqu’à une diminution de 91% ( !) des récoltes de maïs et 79% des récoltes de soja. Un vrai cauchemar !

Inutile de dire qu’Amarante se joue des frontières. Originaire du sud-ouest des Etats-Unis et du Mexique, elle s’est propagée à tout le sud étatsunien et remonte vers le nord et le Canada. Que ce soit par les voies naturelles, le vent, etc, ou parce qu’elle emprunte des petits espaces sur des roues d’engins agricoles, ou de véhicules avec lesquels elle voyage clandestinement. De proche en proche, tous les états frontaliers sont contaminés. Par le biais des échanges de techniques et de la circulation des matériaux de seconde main, les semences ont voyagé subrepticement jusqu’en Argentine, où les récoltes de soja s’en ressentent ! Or depuis que le soja est devenu une denrée qui rapporte, les surfaces agricoles de la campagne argentine consacrées à la monoculture du soja ont été multipliées par 14 en 40 ans, au détriment d’autres cultures plus indispensables à la population, mais moins rentables. Cet oléagineux pèse lourd dans la réduction du déficit commercial du pays, le soja étant son premier poste d’exportation agricole.

Quelle(s) solution(s) pour se débarrasser de l’obstinée Amarante ? L’industrie chimique cherche à contrer l’intruse, mais les résistances à de multiples candidats existant en plus du glyphosate n’inclinent pas à être totalement optimiste. L’exceptionnelle capacité de la plante à muter rend l’opération plus complexe. Plutôt que des pesticides jouant sur les plantes après germination, on a proposé de traiter les graines enfouies dans le sol, mais comment être sûr de toutes les atteindre ? Arracher les plants est une solution valable, mais qui demande beaucoup de main d’œuvre dans une agriculture qui s’est construite sur la mécanisation. Et les études sur la profondeur à laquelle il faut arracher les plants pour être sûr qu’ils ne se redéveloppent pas semblent indiquer qu’il est difficile de s’en débarrasser complètement. Les scientifiques des industries chimiques et des semenciers testent de nouvelles combinaisons chimiques, ou une neutralisation des plants par modification génétique, sans avoir encore trouvé la formule miracle.

Quelques observateurs pointent que revenir à des méthodes moins intensives en technique et en produits chimiques que la monoculture, et pratiquer la traditionnelle rotation des sols, pourrait permettre de dépendre moins d’un arsenal chimique (achat de semences génétiquement modifiées + cocktail de pesticides) d’autant plus coûteux que réussite est incertaine. Quoi qu’il en soit, la lutte entre l’agribusiness et l’entêtée Amarante n’en est pas encore à son dernier acte. Son opiniâtreté a inspiré les écologistes qui dans leurs manuels d’éco-résistance proposent des tutoriels de fabrication de bombes à graines d’Amarante pour saboter les champs ensemencés de plants RR. Certains habitants des campagnes argentines utilisent cette méthode pour neutraliser les champs proches de leurs habitations et les rendre à une utilisation agricole plus raisonnée.

La morale de cette histoire, toujours en développement, c’est que même à l’ère de l’anthropocène, et au-delà des récits navrants de perte drastique de biodiversité, il y a aussi des histoires de résilience, des histoires qui montrent que la nature sait et peut encore se défendre. C’est une leçon de modestie et de modération pour les humains. L’illusion de la maîtrise de la terre reste utopique. Ne pourrions nous pas lire cette fable comme une invitation à repenser, avec la nature, la meilleure façon d’habiter la terre, qui sait ?

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