“Imagination is the single most powerful tool mankind possesses”

Ursula K Le Guin

Transformer le Sahara en un vaste jardin habité, c’est la vision d’un jeune architecte londonien. Il y a quelques temps, en naviguant sur Instagram, je suis tombée sur le projet de Nick Leung qui a remporté le troisième prix de l’édition 2023 du concours AMD sur le thème « Designing efficient future ». Cette compétition, organisée par un fabricant de microprocesseurs et de cartes graphiques, a pour objet de mettre en avant des solutions pour un monde futur basé uniquement sur des énergies renouvelables. Alors que les autres candidats de la catégorie urbanisme situent leurs propositions dans une géographie désincarnée, Nick Leung imagine de nouvelles cités sahariennes, comme des oasis verticales, avec des tours et des jardins en terrasse, plus familiers des paysages du continent asiatique que de ceux du continent africain. Sa proposition architecturale emprunte à la fois à la géométrie végétale, aux termitières et aux zigourats, en accommodant une population rurale qui trouverait autour de ces structures suffisamment de terres à cultiver et où faire paître des troupeaux. Avouez qu’il y a de quoi susciter la curiosité !

J’ai pu échanger avec Nick Leung sur la genèse de sa cité idéale. Architecte travaillant à Londres, il a conçu ce projet pendant ses années de master, pour son mémoire de fin d’étude (l’équivalent en France du mémoire de maîtrise d’œuvre). Je lui ai demandé de me parler de la genèse du projet, d’où il avait tiré son inspiration initiale, ce qu’il avait imaginé.

Visualiser une cité du futur, même pour un architecte doué, n’est pas chose facile. Pour qui manque cruellement d’imagination, c’est un grand mystère. Qu’est-ce qui est venu en premier, la fonction, ou la forme? Lorsque je pose cette question, un poncif de l’architecture, à Nick Leung, il me répond qu’il a commencé à travailler sur des formes, et notamment la mathématique des spirales, ces formes incroyables qui peuvent se répéter à l’infini. Et puis sur des modèles de spirales particulières, celles qui président à la disposition des branches des arbres pivotant autour d’un tronc. Cette disposition permet une répartition de l’eau de pluie, de l’ombre et de la chaleur aux différents étages, et une croissance harmonieuse de l’individu. Pourquoi ne pas transposer ce modèle à des constructions, qui utiliseraient ces propriétés pour produire de l’ombrage, faire remonter de la fraîcheur, etc. ?

Où ces spirales seraient-elles plus utiles que dans le désert ? La démarche de Nick Leung part de la théorie vers la pratique. Il connaît l’aventure de la grande muraille verte, et se dit que peut-être il y a quelque chose à tenter en mixant la reforestation du désert avec la création d’un nouveau type de cité hybride qui accommoderait les besoins des populations rurales traditionnelles mais aussi de ces dizaines de millions de jeunes qui vont naître dans cette partie du monde dans le siècle à venir. Comment utiliser la spirale pour terraformer ce désert qui promet de devenir de plus en plus inhospitalier avec le réchauffement climatique? Son inspiration fuit la la modernité architecturale verticale des mégapoles du vingtième siècle, pour chercher des clés dans la nature. Quelles autres formes biologiques peuvent elles aider à concevoir cette cité du futur? Le modèle des termitières, habituées des zones semi-désertiques et de leur système de régulation thermique entre une partie enterrée et une partie aérienne s’impose comme étant une autre façon d’utiliser l’environnement. Faire remonter la fraîcheur des sous-sols, ventiler le long des structures, apprivoiser la chaleur, la rendre supportable pour les organismes végétaux, les animaux et les humains, et créer un vrai jardin d’Eden dans le désert, en procédant par étapes.

Lorsque je lui demande quels matériaux il envisagerait, il dit qu’il préconise une utilisation minimale de matériaux émetteurs de gaz à effet de serre comme le béton, l’acier ou le verre, mais n’a pas eu le temps d’aller plus loin. L’idée serait de privilégier l’exploitation de l’argile, de la terre crue et du bois et d’utiliser au maximum les ressources mobilisables sur place, les énergies solaire et éolienne, les aquifères pour approvisionner en eau les habitants, irriguer les cultures à bon escient, mais aussi alimenter un circuit de rafraîchissement.

A l’opposé des utopies, portées notamment par les Etats de la péninsule arabique qui dessinent des villes du futur de béton, de verre et d’acier, Nick Leung imagine des unités symbiotiques entre les humains, leurs animaux et leur environnement.

L’objet d’une utopie n’est pas d’être réalisée telle quelle mais de faire réfléchir à notre monde et à ses impasses. Leurs caractéristiques constituent des critiques en creux des sociétés contemporaines. L’un des aspects les plus intéressants en est le délai sur lequel Nick Leung en envisage une éventuelle réalisation, entre un et trois siècles. Ce qui ne paraît pas démesuré pour terraformer le plus vaste désert du globe. Cela nous oblige à réfléchir sur notre rapport contemporain au temps, et aux échéances auxquelles on imagine le futur. Qui peut envisager des projets qui engageraient jusqu’à la douzième génération humaine à venir, alors qu’à la COP 28 les représentants des Etats du monde ont du mal à prendre des engagements pour les 25 ans à venir?

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