« Qui plante des arbres ne mourra pas de faim »

par | Nov 25, 2022 | botanique, Développement durable, Ecologie, Géographie, Innovation | 0 commentaires

Si vous lisez régulièrement ce blog, vous le savez, on y aime beaucoup les arbres, et les histoires édifiantes. Le billet de cette semaine, réunit les deux. J’ai décidé de vous présenter un homme extraordinaire, parfois surnommé, bien qu’il réfute cette expression « le Mère Teresa du Sahel ». Il fait partie de ceux qui se sont investis, dès la fin des années 1970, dans les pays du Sahel, pour lutter contre la désertification. Cet homme, c’est Tony Rinaudo, dont l’œuvre vient de faire l’objet d’un documentaire de Volker Schlöndorff à voir sur Arte Replay. Agronome australien, Tony Rinaudo parcourt depuis quarante ans les pays africains pour faire reverdir les forêts grâce à la régénération naturellement assistée (RNA) une technique qu’il a imaginée après s’être essayé, sans grand succès, à la reforestation classique.

Arrivé au Niger pour piloter un programme de reforestation, il est catastrophé par les résultats calamiteux des premiers essais. Ces programmes sont chers, il faut faire venir les plans d’arbres de pépinières, faire venir de la terre et des intrants, planter des pousses qui, dans leur grande majorité ne prennent pas, se dessèchent par manque d’eau et de soins, ceux qui restent sont décimés par le bétail. Dans les programmes de reforestation dit-il, 80 à 90% des plants ne survivent pas. Pourquoi user son énergie dans des actions onéreuses et peu gratifiantes ?

Alors qu’il est découragé, il aperçoit sur le bord d’une route, dans un paysage désolé, une chèvre broutant un buisson encore vert. En s’approchant, il se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une herbacée ou d’un buisson, mais des restes d’un arbre dont le système racinaire encore vivant génère des pousses. Il imagine alors de faire protéger la plante et de l’éclaircir pour encourager la formation d’un nouvel arbre, pouvant, une fois parvenu à une certaine taille, apporter de l’ombre, faisant reverdir le terrain, et baisser la température au niveau du sol.  Sous cet arbre, les cultures peuvent se développer. La décomposition des feuilles favorise le maintien de l’humidité dans le sol, et la formation de nutriments pour les cultures. Le bois mort sert pour la cuisson des aliments, l’herbe pour nourrir le bétail. Un cercle vertueux pour les agriculteurs s’installe. Le processus est économique, puisqu’on part de l’existant, un système racinaire qui va parfois chercher l’eau à des dizaines de mètres en dessous de la surface, et les arbres survivent beaucoup mieux que les jeunes plants des programmes de reforestation.

Après la grande famine de l’année 1984, Tony Rinaudo, qui est chargé de distribuer l’aide alimentaire dans cette région du Niger, réussit à motiver quelques agriculteurs. Les camions d’aide qui sillonnent les campagnes affichent le slogan « qui plante des arbres ne mourra pas de faim », et Tony Rinaudo passe des contrats avec les familles de paysans qui commencent à pratiquer la RNA. Elles obtiennent des résultats plus que probants, et leur expérience se répand de proche en proche, de village en village, passent les frontières.

Volker Schlödorff filme le retour de Tony Rinaudo dans les villages où il est passé il y a quarante ans. On le voit accueilli très chaleureusement par les habitants. Il se prête au jeu des questions et des réponses en hausa avec les villageois lors des séances de palabres. La régénération naturellement assistée, (RNA) comme il l’appelle, a fait des émules au Ghana, où le cinéaste le suit également, et dans un certain nombre de pays de la bande Sahélienne, jusqu’en Ethiopie. Des paysans l’ont adoptée dans 23 pays d’Afrique, ce qui est un vrai succès. Un succès d’autant plus méritoire, que ce sont les paysans qui pilotent la RNA après le départ de l’agronome, quand d’autres projets d’aide au développement ont du mal à se pérenniser, une fois les programmes achevés. Les pratiques proposées ne correspondent pas à leurs besoins ou s’accordent mal à leur mode de vie.

Le documentaire est très émouvant. Il utilise des pellicules d’archives montrant Tony Rinaudo aux mêmes endroits vingt, trente ou quarante ans auparavant, permettant de mesurer le chemin parcouru. La transformation est spectaculaire, mais pas miraculeuse nous dit, modeste, Tony Rinaudo. Les surfaces restaurées sur plusieurs décennies n’ont pas l’envergure de grands projets emblématiques comme les 120 millions d’hectares à reboiser de la Grande Muraille Verte, déjà évoquée dans ce blog. Mais elles sont durablement transformées, comme cette colline en Ethiopie, pelée il y a vingt ans, et qu’il a fait clôturer et garder pour en reconstituer la végétation. Des arbres ont poussé, et des broussailles, et de l’herbe, et des cours d’eau ont recommencé à couler.

Le documentaire critique, en creux, la Grande Muraille Verte, projet très politique, qui est en train de se transformer en une mosaïque verte de surfaces agricoles. La reforestation par plantation d’arbres sur des hectares, sans projet agricole associé pour nourrir les familles habitant à proximité, n’est pas viable. Les familles des zones rurales de la bande sahélienne sont confrontées à des milieux très dégradés et ne peuvent attendre vingt ans qu’un semblant de pâturage se reconstitue pour leurs troupeaux.

On a besoin de films comme ceux-ci, annonçant des bonnes nouvelles. Pour autant, le documentaire n’élude pas la dure réalité des habitants de cette région. Les villages sont souvent désertés par les hommes jeunes, partis gagner un peu d’argent à la ville, ou sur un autre continent. Les femmes, restent avec les enfants, essayant de faire fructifier leur lopin de terre, pour nourrir les leurs.

La RNA ne résout pas tout. Une femme prend amicalement à partie Rinaudo dans une séance de palabre, en lui disant que ses recommandations techniques ont certes aidé à mieux tirer profit de leur lopin de terre, mais que le gain de productivité est aujourd’hui à répartir entre un plus grand nombre de têtes, sans qu’il y ait possibilité d’exploiter plus de terres. Tout bienfait a des limites.

La morale de cette histoire, c’est que les idées les meilleures ne sont pas les plus spectaculaires, et qu’une terre très abîmée conserve des possibilités de régénération, pour peu qu’on y prête attention. Si l’idéologie productiviste de notre époque ne croit (croît?) que dans les grands nombres, des actions locales prenant appui sur « la patience obstinée de la graine enfouie dans le sable »[1] peut s’avérer plus efficace.

En dehors du Sahel, l’expérience de Tony Rinaudo devrait également nous mettre la puce à l’oreille à propos de tous ces programmes de reboisement/reforestation proposés à tout propos pour “reverdir la planète”. En 4/10ème de secondes, le moteur de recherche de Google trouve plus de 27 millions (!) de références à la reforestation, dont une grande partie de promotions de programmes visant à planter des arbres tous azimuts. Ces plantations d’arbres permettent à certains acteurs de vendre des crédits carbone à des entreprises en recherche de respectabilité, comme – c’est un exemple parmi d’autres – la FIFA cherchant à verdir le bilan carbone de la coupe du monde la plus émettrice de gaz à effet de serre de l’histoire. Il y a parfois une différence ténue entre le greenwashing et le rétablissement de la planète.


[1] Asli Erdogan

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