Restaurer en huit ans, une surface de terres équivalant à la surface de la Chine, objectif réalisable ou mission impossible?

par | Juin 30, 2022 | Développement durable, Ecologie, Géographie | 0 commentaires

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Pour marquer la fin de toutes les grandes conventions onusiennes, il est d’usage de préparer des annonces qui marquent une étape dans l’engagement des pays membres vers la résolution des problèmes considérés. La COP 15 sur la désertification tenue à Abidjan en mai 2022 n’a pas fait exception à la règle, avec l’annonce d’un objectif de restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici la fin de la décennie, soit l’équivalent du territoire chinois.

Interrogé par le quotidien Libération, sur l’issue de la COP 15, Jean-Luc Chotte[1], président du CSFD, a trouvé cet engagement encourageant. Un objectif chiffré donne un cap réaliste, même si celui-ci est rarement atteint en l’absence de caractère contraignant.

Pourquoi cette problématique de la restauration des terres ? D’abord parce que c’est un des objectifs de développement durable (ODD) posés par l’ONU pour la décennie 2020-2030. Ensuite, parce que l’UNCCD comprend le processus de désertification, comme résultant de la dégradation extrême des terres, menant à leur appauvrissement, et à la diminution des services rendus à la planète. Les terres dégradées ne permettent pas le bon renouvellement des ressources en eau, ni le maintien de la biodiversité, et de la biomasse. Comme le soulignait Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de l’UNCCD, avant la convention d’Abidjan : « l’agriculture moderne a modifié le visage de la planète plus que toute autre activité humaine. Nous devons repenser de toute urgence nos systèmes alimentaires mondiaux, qui sont responsables de 80 % de la déforestation, de 70 % de l’utilisation de l’eau douce et de la plus grande cause de perte de biodiversité terrestre. »

Comment continuer de nourrir les huit milliards d’habitants de la planète avec des terres qui s’appauvrissent chaque année ? Selon le rapport GEF (Global Environment Facility) paru en 2021, 25% des terres de la surface du globe ont été dégradées, posant la question de la sécurité alimentaire pour une population en augmentation[2]. Selon le même rapport, 12 millions d’hectares sont rendus improductifs et incultivables chaque année du fait de la sécheresse.

Ces constats appellent donc à l’action, mais comment, quelles sont les stratégies pertinentes ? Quels sont les acteurs à mobiliser ? Comment les motiver ? Peut-on partir du principe que tous les processus de dégradation des terres sont comparables et appellent donc les mêmes types de solutions ?

Pour la géographe Aude Nuscia Taïbi, avant de proposer des solutions, il faut questionner la notion de désertification. Venue d’une vision coloniale, la désertification a été un concept commode qui a surtout servi les intérêts bien compris de certains acteurs en aggravant parfois les problèmes locaux. La promotion de monocultures de rente pour faire rentrer des devises ont empiré les déséquilibres dans des zones rurales arides aux écosystèmes fragiles. La lecture des paysages et l’interprétation de leur équilibre est soumise à des filtres culturels qui varient. La dégradation évoque implicitement un état antérieur idéalisé.

« La désertification ou la dégradation décrite ne correspond trop souvent qu’à une lecture du paysage chargée des filtres culturels de l’observateur ainsi que de toutes les images catastrophistes et idées reçues qui imprègnent aujourd’hui l’esprit de la plupart de nos contemporains, et qui orientent les représentations des états de référence initiaux considérés comme « idéals » et qu’il faudrait restaurer. »   

Les travaux de cette chercheuse invitent à regarder d’une autre manière les processus. Il faut « rouvrir les boîtes noires » de la désertification pour aider à concevoir des solutions qui aident véritablement les populations concernées.

Les causes de la dégradation des sols sont multiples et complexes. L’avancée du désert et le changement climatique n’expliquent pas tout. A force d’accepter l’explication dominante depuis l’époque coloniale, très ancrée dans la vision européenne des forêts, on invisibilise les dynamiques proprement locales. C’est ce qui se passe lorsque les médias imputent le manque d’eau en Irak, ex-grenier à blé du Moyen-Orient, à la seule désertification, et à la multiplication des tempêtes de sable. L’analyse de la gestion de l’eau depuis des décennies, raconte une histoire de déresponsabilisation des usages et des usagers[3].

Sur le continent africain, la réponse type des ONG aux épisodes de sécheresse fréquents depuis années 70-80 a été de financer des puits. La plus petite ONG locale envoyait des financements, des pompes et des ingénieurs pour installer des forages un peu partout dans le Sahel. La multiplication anarchique de points de puisage de l’eau, financées par des multitudes d’acteurs (archétypes du white saviour) était une réponse valide à court terme. A plus long terme, la fixation, autour de ces puits, de populations dans des zones auparavant peuplées de façon intermittente par les nomades, ont fini par épuiser les ressources locales, et à exacerber les tensions entre populations.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Comment modéliser les dynamiques locales pour inventer les moyens de restaurer les sols dégradés sans aggraver les problèmes ? Les zones arides constituent 40% de la surface des terres, et chaque région a potentiellement ses propres défis qui ne sont pas superposables à ceux des zones voisines.

La dégradation des terres résulte d’une mosaïque de situations locales qui ont évolué depuis la décolonisation, réunir toutes ces micro-situations sous une même bannière est plus facile pour communiquer avec la communauté internationale et peser sur des décisions, ou mettre en évidence des questions dont celle-ci doit se saisir, mais elle présente l’inconvénient de sur-simplifier les réponses.

L’objectif ambitieux du milliard d’hectares de terres restaurées est sans nul doute ambitieux, comme l’est celui de la neutralité en termes de dégradation des terres d’ici 2030, seules les solutions élaborées en prenant compte des réalités locales permettront de les approcher.


[1] https://www.liberation.fr/environnement/fin-de-la-cop15-desertification-on-a-desormais-une-cible-claire-20220521_OFZKCFMQYRHOJLC5SVLLLNHOIM/

[2] La guerre en Ukraine depuis février 2022 a contribué à souligner la fragilité du système alimentaire mondial.

[3] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/en-irak-la-secheresse-est-une-responsabilite-collective-8145651

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