Qu’ont de commun le sarrasin de Tiehm, l’asclépiade, la tortue du désert, le crapaud de Hot Creek, ou le tétra des armoises ? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elles ne viennent pas du répertoire raisonné des insultes du capitaine Haddock. Ce sont des espèces de plantes et d’animaux menacées d’extinction rapide par l’essor des énergies non carbonées dans les zones désertiques des Etats-Unis. Des associations se sont récemment émues que des projets de centrales solaires, géothermiques, ou d’extraction de lithium, souvent localisés dans des zones désertiques, pouvaient menacer la survie d’espèces rares de faune ou de flore locales.
L’essor des énergies renouvelables permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur notre planète, et d’infléchir le réchauffement climatique. Il ne se fait pas sans dommages collatéraux sur la biodiversité d’écosystèmes fragiles. Les défenseurs du sarrasin de Tiehm ont gagné une première manche, la semaine dernière, aux Etats-Unis. Mais pour combien de temps ? Combien d’autres sont encore menacées ? Alors que la COP 15 sur la biodiversité qui s’achève à Montréal devrait réaffirmer des objectifs ambitieux pour lutter contre la « sixième extinction », une mise au point sur les menaces sur la biodiversité dans les espaces désertiques.
La notion même de désert semble antithétique à celle de biodiversité. L’image communément associée à la biodiversité est celle des écosystèmes généreux des forêts tropicales et équatoriales. La préservation des écosystèmes tropicaux, des zones humides, des récifs coralliens et même de la banquise font régulièrement la une des magazines, et l’objet de nombreux et photogéniques reportages et documentaires. La biodiversité dans les déserts, à part les travaux des époux Owens, dont on a parlé ici, bénéficie rarement de l’attention du grand public.
Sur le continent africain, certains animaux emblématiques de la mégafaune, comme les oryx de Libye, ont disparu. La raréfaction des guépards et des lions dans certaines parties du continent alors qu’ils y étaient fréquemment aperçus dans la première moitié du vingtième siècle, témoigne de l’appauvrissement de la biodiversité. Pourtant, des initiatives d’installations extractives ou de centrales solaires ou éoliennes, voire des projets d’urbanisation de grande ampleur, ont été envisagées sans susciter de levées de boucliers. On semble partir du principe que le désert n’hébergerait pas, ou hébergerait moins, de formes de vie dignes d’attention que les autres écosystèmes.
Les déserts seraient la table rase par excellence, où tout est possible. Même les pelouses fournies des golfs de Las Vegas et les pistes de ski climatisées sous cloche de la péninsule arabique ! Aux Etats-Unis, des équipes scientifiques ont effectué des recensements et scrutent la santé des espèces, végétales ou animales, vivant dans les déserts nord-américains. Des associations, comme le Center For Biological Diversity, ont pris la parole récemment, alertées par les projets de méga-centrales solaires, et de mines de lithium dans les déserts de Mojave au Nevada, sur des terres appartenant au gouvernement fédéral.
Elles jugent insuffisantes les garanties amenées par les futurs exploitants et, demandent des connaissances plus solides sur les impacts écologiques, avant de laisser libre court aux installations, dopées par la politique de subventions aux énergies renouvelables annoncée dans le plan de relance de l’administration Biden.
Le sarrasin de Tiehm est au bord de l’extinction. Cette céréale aux fleurs jaunes ne pousse que sur quatre hectares du territoire de l’état du Nevada. Sa population a été fragilisée récemment par une invasion de rongeurs, et pourrait être rayée de la carte si elle n’est pas protégée. C’est ce qui a conduit l’agence du Fish and Wildlife Service à l’inscrire sur la liste des espèces en voie d’extinction, et à préconiser la protection de 468 hectares autour du dernier îlot où pousse cette frêle plante. La bataille entre l’industriel, qui met en avant un plan de préservation, et les écologistes qui doutent de l’effectivité dudit plan, s’annonce longue. Les écologistes font valoir, que, quelles que soient les mesures conservatoires, avec des activités aussi polluantes que les activités minières, générant poussières, remblais, etc. et pouvant changer l’hygrométrie des sols et l’activité des insectes pollinisateurs, l’échec de la préservation de la plante est garanti.
Le déclin de la biodiversité ne concerne pas uniquement des espèces spectaculaires. Il y a peu de risque que vous voyiez figurer, sur une liste au Père Noël, une version en peluche du sarrasin de Tiehm, ou même du Dixie Valley toad un crapaud, de l’asclépiade (une autre plante), ou du tétra des armoises (volatile à la parade nuptiale vaguement ridicule). Ce sont pourtant des représentants de ces espèces menacées directement par des installations vertueuses au regard du réchauffement climatique.
Préserver la biodiversité est un objectif louable et compliqué qui ouvre de nombreuses interrogations. D’aucuns, comme le secrétaire général de l’ONU à l’ouverture de la COP 15 à Montréal, vous diront que c’est un impératif moral. Mais comment faire lorsque cet impératif entre en concurrence avec d’autres impératifs, comme préserver la terre du réchauffement climatique, nourrir et loger les humains, leur assurer une vie décente ?
Il ne paraît pas incongru, au premier abord, de se demander s’il est bien raisonnable de se battre pour une plante dont la niche écologique s’est réduite à quatre hectares sur les 14,9 milliards que comptent les terres émergées de notre planète. Cela ne représenterait même pas une étagère d’un placard de la maison commune. En bons héritiers de la science Darwinienne, ne peut-on partir du principe que l’évolution étant le moteur de la vie sur terre, l’extinction des espèces les moins résistantes fait partie de l’histoire de la planète ?
Le problème n’est pas l’extinction des espèces, mais le rythme accéléré auquel elle se produit depuis la révolution industrielle. Et cette accélération laisse peu de chance à l’adaptation, qui est la seconde branche de la dynamique évolutionniste. Préserver la biodiversité n’est pas figer un état idéal des écosystèmes à un instant t, c’est préserver leur capacité de résilience, d’accommodation des nouvelles conditions. Peut-être que finalement on ne pourra pas sauver de l’agonie le sarrasin de Tiehm. Mais ne doit-on pas lui laisser une chance de développer sa propre résilience?
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