Les îles sont-elles le futur de l’habitat durable ? Vous le savez, l’une des questions qui nous passionne à RLDH, c’est celle de trouver où et comment abriter les presque dix milliards d’êtres humains que comptera la planète en 2050 selon l’ONU, dans des conditions qui seront forcément dégradées par les effets du dérèglement climatique rendant les zones littorales moins habitables, alors qu’elles sont aujourd’hui les plus peuplées. Un des scénarii possibles est de tenter de fixer les populations vers l’intérieur des terres, c’est ce que fait la Chine en créant des mégapoles dans le centre du pays comme l’impressionnante Chongqing et la tristement célèbre Wuhan. Un autre scénario serait de créer des îles le long des littoraux pour regagner sur la mer le terrain que l’érosion pourrait nous faire perdre – et maîtriser l’érosion. C’est une hypothèse tout à fait sérieuse et qui a déjà été testée dans l’histoire de l’humanité.
La construction d’îles artificielles le long des littoraux pourrait être une façon de lutter et de gagner sur la mer des surfaces de terre qui sont menacées, de renforcer le caractère habitable des côtes qui abritent des densités croissantes de population. Les technologies sont anciennes, de la poldérisation aux Pays-Bas dès le Moyen-Âge qui réservaient à quelques endroits des digues, des « Terps », îles artificielles. Plus près de nous dans le temps, Pudong, l’emblématique quartier des affaires de Shanghaï a été gagné sur le fleuve Huang Po en créant des remblais dans l’estuaire du fleuve.
A l’heure où certains lecteurs de ce blog se laissent aller à rêver de séjourner sur une île déserte, nous nous sommes intéressés au nouvel ouvrage du géographe Alastair Bonnett « The Age of Islands ». Pourquoi s’intéresser aux îles sur RLDH ? Parce que, contrairement aux fantasmes courants, elles n’offrent pas toujours ces refuges apaisants des cartes postales et que leur réputation de sanctuaire naturel est surestimée. Contre l’image d’Epinal de l’île de Robinson Crusoë qui, pour peu qu’on s’y applique, recèle tout ce dont le naufragé a besoin pour survivre, les îles peuvent êtres des milieux hostiles et marqués par la pénurie comme peuvent l’être les zones désertiques. Ensuite, parce que les îles apparaissent aussi vite que d’autres disparaissent. Les risques de submersion rendus de plus en plus présents du fait du dérèglement climatique vouent certaines îles de la zone intertropicale à la disparition, les îles Kiribati sont devenues le symbole de cette disparition programmée. En même temps, les projets d’îles artificielles se multiplient, que ce soit pour des raisons de stratégie militaire, de construction d’infrastructures, d’aménagement touristique, de résidences exclusives à l’abri des tracas des agglomérations urbaines…
Loin d’être des exceptions, la construction d’îles artificielles est une pratique ancrée dans l’histoire. Les îles ont été fortifiées depuis des siècles, et sur les lochs d’Ecosse subsistent les fameux « crannogs » fabriqués pour que les habitants des alentours s’y abritent en cas d’invasion ennemie. Les îles inspirent à la fois un sentiment de liberté (le mythe de l’île déserte !) mais aussi de peur, de solitude et d’ennui. Les humains ont des réactions contradictoires vis à vis des îles. A travers les âges, celles-ci ont servi de prison, de lazarets en période d’épidémies, de mouroirs pour les bannis des sociétés anciennes, ou de refuges exclusifs pour milliardaires en recherche de décompression. Dans l’ère moderne, on a eu tendance à construire des îles artificielles pour isoler des activités polluantes, activités aéroportuaires au Japon ou à Hong Kong, ou pour l’extraction d’énergie off-shore que nous ne voulons plus voir sur nos rives.
L’ouvrage d’Allastair Bonnett, qui étudie le sujet à l’université de Newcastle, se lit comme un roman. L’auteur nous amène visiter des îles, naturelles ou artificielles et en découvrir la variété, les histoires particulières, pour comprendre les phénomènes d’attraction et de répulsion que peuvent susciter les îles, loin des couchers de soleil de carte postale.
Ce faisant, il nous permet de découvrir les points aveugles des raisonnements faisant de l’islandisation des bandes côtières la planche de salut des bandes littorales. L’auteur nous rappelle quelques faits surprenants. Savez-vous qu’il se crée en ce moment plus d’îles qu’il n’en est enfoui par les phénomènes climatiques ? Mais, ces créations d’îles, si elles ont lieu sur les bandes littorales, n’ont pas toujours pour objet d’offrir des résidences abordables et durables aux habitants chassés de leur habitat précédent. Par ailleurs, lorsqu’elles ont lieu, ce n’est pas dans les endroits où la mer menace le plus les habitations, comme aux îles Kiribati dans le Pacifique ou aux San Blas sur la partie Atlantique du Panama. L’auteur cite les exemples de la Gold Coast Australienne, ou sur les rivages de Dubaï, et, elles visent plutôt à réserver à une élite des resorts luxueux d’où celles-ci seront séparés de la plèbe, qu’à résoudre un problème de logements pour tous.
Enfin, le coût environnemental de la création de ces îles artificielles, dans leur grande majorité, avec les remblais nécessaires, les déplacements de sable, les tonnes de béton à couler pour fonder les bases des projets est – sans surprise – désastreux. Sans parler du fait qu’on étudie rarement l’impact sur l’environnement marin. Alastair Bonnett remarque avec finesse que pour construire ces luxuriants morceaux de paradis dont les futurs propriétaires pourront, selon les prospectus, bénéficier d’un environnement naturel préservé (et créé de toutes pièces), on détruit sans sourciller des écosystèmes. Il cite notamment l’île Fantasy Park en Indonésie, face à Singapour qui est présentée comme un « éco-parc » où les touristes ou vacanciers peuvent goûter à une nature magnifique, entièrement recréée sur un remblai qui a nécessité de noyer un récif de corail sous le béton… La plupart de ces îles ont un bilan écologique désastreux et ont un impact catastrophique sur l’environnement que les autorités compétentes se gardent bien d’essayer de mesurer.
Finalement, la création de réseaux d’oasis durables dans le désert, prônée par le créateur de RLDH, pourrait s’avérer une solution plus durable que le remblai et le bétonnage des littoraux submergés, qu’en pensez-vous ?
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