“Le chameau paraît originaire de l’Arabie. Non-seulement c’est le pays où il existe en plus grand nombre, c’est aussi celui auquel il convient le mieux. L’Arabie est la contrée du globe la plus aride et où l’eau est le plus rare: le chameau est le plus sobre des animaux , et peut passer plusieurs jours sans boire. Le terrain est presque partout sec et sablonneux; le chameau a le pied fait pour marcher dans les sables, et ne peut se soutenir dans les terrains humides et glissants.”
Buffon, Histoire naturelle
Le saviez-vous ? 2024 a été décrétée par l’ONU l’année des camélidés. Les camélidés, espèces discrètes et folkloriques, mentionnés, au siècle des Lumières, par le grand naturaliste Buffon, plus populaires dans Tintin que dans les campagnes françaises, sont de plus en plus présents dans les statistiques et les recommandations de la FAO qui reconnaît leur « contribution essentielle (…) aux moyens d’existence des communautés et au renforcement de la résilience contre le réchauffement climatique ».
Les camélidés auraient donc le vent en croupe. La semaine dernière, un article de la section Afrique du journal Le Monde relatait que les éleveurs du nord du Kenya, dont le cheptel bovin et caprin a été fortement éprouvé par des épisodes récurrents de sécheresse, commencent à substituer à leur bétail traditionnel quelques têtes de de dromadaires. Les autorités locales ont distribué des dromadaires aux éleveurs dont les cheptels ont été décimés, et ceux-ci s’en félicitent, les avantages de leurs nouveaux pensionnaires paraissant plus adaptés aux rigueurs du réchauffement climatique, que les traditionnels bovins, même acclimatés, dont le cheptel commence à diminuer.
Le Kenya n’est pas le seul pays où le cheptel de dromadaires s’est accru ces dernières années. Depuis les années 2000, l’idée fait son chemin dans une grande partie de la zone bordant le Sahel, de substituer le cheptel le plus fragile par des espèces plus résistantes. D’une sobriété légendaire, l’animal résiste bien à la sécheresse et aux radiations solaires, et peut passer des semaines en s’alimentant peu et en buvant encore plus modérément.
Connu depuis des siècles comme un animal de charge, le dromadaire est, de plus, plein de ressources. Son lait est abondant et très demandé. Sa forte stature permet une production de viande très supérieure à celle fournie par les bovins et caprins, et très appréciée sur certains marchés, notamment au Maghreb et dans les pays du golfe.
Au Tchad, au Niger, les cheptels de camélidés augmentent régulièrement en dehors des zones où les troupeaux étaient traditionnellement présents. Souvent associés à la vie nomade, ils se sédentarisent, ce qui permet de découvrir leur adaptabilité et leurs multiples avantages. La population cameline a doublé entre 1960 et 2009, notamment en Afrique et au Proche-Orient, mais diminué du côté de l’Asie Centrale, où le chameau de Bactriane, cousin à double bosse du dromadaire, résiste de moins en moins aux épisodes de dzuz (hivers très froids).
Merveille de la nature chez Buffon, le dromadaire est un atout dans la palette des adaptations aux sécheresses plus nombreuses et plus prolongées, mais est-il pour autant la panacée ? Son aire de répartition croît régulièrement depuis 1960. Malgré l’urbanisation rapide de toute l’Afrique, la population cameline résiste, et son aire de répartition s’étend au-delà de celle qui était historiquement la sienne. Les pays de la corne de l’Afrique sont les mieux pourvus en population cameline : cette région compte 58% du cheptel mondial. La bonne fortune du chameau s’est diffusée par proximité dans toute la zone sahélienne.
Récemment, certains pays comme le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie ont vu fortement augmenter leur cheptel. Et d’autres pays africains veulent les suivre dans cette voie. On trouve désormais des élevages camelins dans le nord du Nigéria, en république Centrafricaine et au nord de l’Ouganda.
Il faut dire que les prévisions de désertification et d’intensification des épisodes de sécheresse, prêchent pour une adaptation de l’élevage qui reste une ressource pour une bonne partie de la population. Les têtes de bétail sont des richesses et des réserves de cash pour des populations d’éleveurs n’ayant pas accès aux banques. On vend une ou plusieurs têtes de bétail pour parer aux évènements de la vie. La mort du troupeau est une catastrophe. Tout cela plaide pour l’introduction d’espèces plus résistantes, et le dromadaire rassemble les caractéristiques d’une espèce résiliente au changement climatique.
Les usages des dromadaires évoluent avec l’occupation de l’espace. Certains sont sédentarisés et trouvent une utilité auxiliaire au sein du système agricole, pour le labour, le trait. La capacité de traction de l’animal est supérieure à celle d’une paire de bœufs. Il peut être aussi utilisé en zone urbaine pour le transport de charge. Une association finance des dispensaires mobiles véhiculés à dos de dromadaire ! Tout-terrain, économe en carburant, ne nécessitant pas d’infrastructure, c’est une combinaison gagnante ! Par ailleurs la demande pour la viande de dromadaire croît, et est de plus en plus appréciée, ainsi que la demande laitière. Des tentatives d’organisation de ces filières sont à l’étude.
Peut-on dire alors que tout roule pour le dromadaire ? Pas tout à fait. Malgré une résistance hors pair, les dromadaires ne survivent pas à certains épisodes de sécheresses extrêmes. Comme le dit un proverbe chinois : “on ne rassasie pas un chameau en le nourrissant à la cuiller”. Les animaux déjà affaiblis succombent à la chaleur et au manque d’eau. Par ailleurs, si l’extension par proximité dans des zones limitrophes de celles où il est traditionnellement élevé se passe plutôt bien, les tentatives, à la fin du vingtième siècle, d’introduction de troupeaux en Afrique Australe n’ont pas toutes été couronnées de succès. On ne s’improvise pas éleveur de dromadaires…
Des pathologies inconnues apparaissent dans les troupeaux. Les épisodes humides dans leur nouvelle zone de répartition peuvent les fragiliser et augmenter le risque de maladies vectorielles. Ainsi, récemment, on a pu craindre l’irruption d’un nouveau type de virus similaire au Covid, avec l’apparition d’une zoonose chez les dromadaires. L’intensification – même modérée – de l’élevage, et la cohabitation des espèces augmentent des risques sanitaires d’épizootie à surveiller étroitement, un défi dans des zones où les services vétérinaires ne sont pas toujours présents.
De surcroît, le dromadaire n’est pas un patient facile. Aussi irritable que son cousin le lama dans les aventures de Tintin, il n’apprécie pas forcément l’attention sanitaire dont il peut faire l’objet. Ainsi en 2021, lors d’une épidémie de MERS (une maladie respiratoire, cousine du Covid19 affectant les camélidés des pays du Golfe et du nord du Kenya), les soigneurs racontaient avoir fort à faire avec ces animaux. Il en fallait trois pour procéder à des opérations aussi basiques que le prélèvement d’échantillons nasaux et les prises de sang sur des animaux de cette taille. Outre la taille des écouvillons pour les prélèvements nasaux, le sale caractère du dromadaire rendait l’opération très aléatoire, voire dangereuse!
Toute médaille a son revers. Les études sur la biodiversité le soulignent, les changements dans la répartition des espèces et dans leur concentration, est un facteur connu de multiplication des zoonoses et des épidémies. Les camélidés sont une bonne solution, à surveiller!
0 commentaires