Quel type d’urbanisation pour le vingt-et-unième siècle ?

par | Fév 5, 2023 | Développement durable, Géographie, Urbanisme | 0 commentaires

Les prévisions démographiques au niveau mondial prévoient qu’à l’horizon 2050, plus des deux tiers de l’humanité vivra en milieu urbain. L’urbanisation des dix-neuvième et vingtième siècle, moteurs du développement, ont été aussi un formidable accélérateur des émissions de gaz à effet de serre. La menace que fait peser le réchauffement climatique sur l’humanité incite à réfléchir plus que jamais les villes durables qui aideront à maintenir l’habitabilité de notre planète. Dans quel(s) type(s) de ville(s) loger les populations urbaines du vingt-et-unième siècle ?

Nous avons rendu compte, dans plusieurs articles de ce blog, de tentatives d’inventer des villes durables en dessinant sur la page blanche des déserts des villes nouvelles aux performances d’autant plus incroyables qu’elles n’ont pas à se heurter à une réalité présentant des résistances. Le désert résiste peu. Il peut éventuellement se venger, comme dans la très photogénique ville namibienne de Komanskop. En attendant, des Etats comme le Maroc, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite ont choisi cette option. Une autre option est de densifier les agglomérations urbaines existantes. C’est une des solutions préconisées par les dernier rapport du GIEC sur les solutions, partant du principe que la création de villes nouvelles fragilisaient les populations les plus vulnérables et les moins mobiles. Densifier le tissu urbain existant en renforçant sa résilience permettait d’obtenir un développement plus inclusif.

L’Afrique est le continent sur lequel cette question est la plus cruciale. L’urbanisation accélérée du continent est une constante depuis les indépendances, avec une croissance de la population des villes de 6 % par an qui ne devrait pas décélérer avant 2050. L’Afrique compte trois métropoles de plus de dix millions d’habitants, Le Caire, Lagos et Kinshasa. Un effectif qui devrait doubler d’ici 2030.

L’équation de la planification urbaine s’y révèle particulièrement épineuse alors que l’enjeu de limiter le réchauffement climatique à 1,5° au niveau mondial impose une urbanisation raisonnée, intégrant des objectifs de conception de villes inclusives, décarbonées et résilientes selon les recommandations du GIEC, et les résolutions prises aux différentes COP. Les décideurs doivent cependant composer avec des impératifs parfois contradictoires : accueillir une population croissante du fait d’une natalité dynamique et de l’attrait des villes ; éviter un étalement de bidonvilles ; favoriser une configuration de ville plus inclusive, plus verte, et plus résiliente. Tels sont les mots d’ordre. Pour des Etats dont les niveaux de revenus sont faibles, la gageure n’est pas mince.

Comme l’écrivent les économistes de la Banque Mondiale dans leur rapport de 2022, les villes des pays en voie de développement comptent pour quantité négligeable en termes d’émissions de GES, mais l’enjeu est d’éviter qu’elles ne suivent la trajectoire des villes des pays développés qui elles doivent idéalement construire en zéro carbone. La construction des métropoles modernes, partout dans le monde, a été génératrice de gaz à effet de serre. En 2018, la construction représentait 61% de la consommation d’énergie en Afrique et plus de 32% des émissions de gaz à effet de serre (PNUE).

Un cas illustre bien les difficultés de l’exercice, celui de la mégapole en gestation le long des côtes du Golfe de Guinée, entre Abidjan et Lagos. Ce littoral, parmi les plus densément peuplés du continent africain, qui relie Abidjan en Côte d’Ivoire, et Lagos au Nigeria, en passant par Accra, Lomé, Ouidah, Cotonou et Porto Novo, est en passe de devenir une des mégapoles émergentes les plus importantes du vingt-et-unième siècle. La bande côtière représente 80% de l’économie des cinq pays qui la composent. Ainsi les démographes projettent que la mégalopole Abidjan-Lagos, succédant à une bande littorale presque totalement urbanisée qui compte déjà, selon les projections 40 millions d’habitants, pourrait abriter 51 millions d’habitants en 2035, et jusqu‘à 500 millions en 2100. D’où la nécessité d’une planification qui prenne en considération les divers impératifs, géographiques, démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, climatiques… La zone intertropicale est particulièrement exposée aux aléas du réchauffement climatique avec des risques liés aux vagues de chaleur, aux inondations du fait de pluies diluviennes et à la submersion des zones littorales. Le recul du trait de côte est déjà une réalité pour une partie des villes traversées mais n’a pas remis en question la stratégie de développement urbain.

Un financement de 16, 6 milliards de dollars a été accordé par la Banque Africaine de Développement pour réaliser l’axe routier qui matérialisera cette unification est un signe de la volonté des pouvoirs en place de continuer à laisser se concentrer les populations sur les littoraux, malgré les menaces de subversion et de salinisation des sols et des nappes phréatiques que fait peser sur certaines parties le réchauffement climatique. Près de 1000 kilomètres d’autoroute sur quatre voies à six voies doivent être tracés pour faciliter les échanges et dynamiser les économies de toute la zone. Cette autoroute à péage doublera ce qui existe aujourd’hui par tronçons est censée être opérationnelle en 2026 et devrait augmenter de plus d’un tiers les échanges commerciaux de la zone. Pour les cinq pays, la connection de cette liaison côtière avec une liaison radiale vers les parties plus isolées des territoires seront également cruciales.

Le journaliste du Guardian Howard French a consacré un long article à cette future agglomération, recensant le nombre de points à résoudre par les cinq pays de la zone pour faire fonctionner une mégapole qui soit à la fois effective au point de vue économique, et durable. L’échelle des besoins en planification et en urbanisation est colossale. Comment sécuriser l’installation sur un littoral menacé d’une population aussi importante? La coordination inter-étatique, aujourd’hui assez faible, va nécessiter un sérieux coup d’accélérateur. Dans la région concernée par la future autoroute, le défi n’est pas mince. Mais les défis posés par les questions de fourniture de logements décents, d’électricité, d’adduction d’eau et d’assainissement sont également à traiter, et pour cela il faudrait qu’une instance transfrontalière soit investie rapidement sur ces sujets.

La transformation de la bande côtière entre Abidjan est à surveiller, les modes de gouvernance et les innovations sociales si elles survenaient pour mener à bien cette intégration pourraient servir de banc d’essai pour les futures villes du vingt-et-unième siècle.

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